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Agapè - de soi à l'autre
Dans le cadre du programme « Culture à l’hôpital », la MC93 et l’hôpital universitaire Avicenne – AP-HP s’associent pour une résidence artistique menée par Thierry Thieû Niang, danseur et chorégraphe.
Les temps de cette résidence qui a débuté à l'automne 2018 alternent des moments de présence, d'observation et de rencontres au sein des différents services hospitaliers et des ateliers de pratique du mouvement dansé avec les patients et les soignants.
Jeudi 4 décembre 2019, la MC93 accueille une première restitution de cette résidence.
Que peut-la danse ?
Comment un mouvement dansé peut-il réparer l’image de soi ainsi dévastée ?
Pour répondre à cette question, je suis allé respectueusement vers les patients, les familles, les soignants et les équipes et j’ai cherché avec eux un mouvement dansé fait de gestes simples et ouverts et dont le moindre frémissement est déjà une danse.
J’ai commencé à esquisser avec eux des gestes et j'ai échangé des paroles, des idées et des récits autour de l’histoire des corps - l’enfance, le désir, l’exil, la maladie - et ainsi j’ai accueilli tous les mouvements sensibles, uniques, empêchés, immobiles et fragiles.
C’est toujours dans un mouvement d’écoute, un geste de la main, un appui dans le dos ou simplement par un regard, que l’on peut se sentir renaître, exister. La douceur est retenue, la souffrance se tient à distance, la pudeur et la grâce s’épousent. C’est la vie telle quelle et rien d’autre.
Il y a les femmes et les hommes à égalité, celles et ceux en blanc et les autres. Des deux côtés. Comme deux rives avec un fleuve au milieu : la maladie qui coule, qui engloutit et qui emporte. Les trop jeunes, les trop vieux, les amazones, les chevaliers. C’est bouleversant.
C’est toujours vivant et vrai. À l’hôpital, tout est gestes et paroles.
Corps et récits.
C’est une voix qui appelle, qui rassure ; ce sont quelques pas dans le couloir que le soleil inonde ; c’est l’odeur du café ; ce sont les rires encourageants de Didier ; les regards bienveillants et discrets de Jérémie ; c’est la présence lumineuse de Jennifer ; celle vive et chantante de Lysiane ou encore l’écoute vertigineuse et sensible de Nacira ; toutes et tous, aides-soignants, infirmiers et médecins.
Encore, ce sont les sifflements graves des brancardiers et des chauffeurs de taxi, les arbres d’un jardin qui entoure les bâtiments de la cité que l’on voit dans le reflet des fenêtres ou encore un filet de musique ou d’une chanson qui s’échappe d’écouteurs posés sur un oreiller ou accrochés à la potence des perfusions.
Sur ma blouse blanche en dessous de mes nom et prénom, il y a écrit danseur et chorégraphe.
L’hôpital est une ville, un pays, un monde.
Ce qui se passe à l’hôpital relève aussi de la création, du partage et de la passion.
La souffrance, la peur, l’espoir, la gratitude d’un côté. L’écoute, l’intuition, la vigilance, l’attention, le temps de l’autre.
Ce que je vois et partage avec chacune, chacun, c’est du temps, de la présence au présent car à l’hôpital, il n’y a plus de temps, il n’y a pas assez de lits, plus assez de gens pour les malades, pour tous ceux qui débarquent avec leur douleur.
Je veux partager ces premières notes, ces gestes et ces danses accompagné entre autres par des soignants invités, Marylène Litout, Michèle Sawaya, Louise Mestre, Olivier Taieb, Mohammad Mouma, les artistes Françoise Gillard, Nine d’Urso, Raoul Riva, Sébastien Amblard, Sipan Mouradian, Vincent Sauve, Gautier Boxebeld et Jimmy Boury et les adolescents de l’hôpital de jour.
Thierry Thieû Niang