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Magazine

2 avril 2022
À lireEntretiens2021-2022

Renverser les signes du pouvoir

Entretien avec Frédéric Nauczyciel autour de Singulis et Simul

Où ce spectacle est-il né ?

En janvier 2020 l’Orchestre Symphonique de Cincinnati m’a invité à imaginer une soirée. L’orchestre cherchait, à travers l’invitation d’artistes, à rénover la forme du concert, à rajeunir son public et à s’interroger sur sa mixité raciale ainsi que sur celle de son public. Le Centre d’art contemporain de Cincinnati leur a montré mon film « Un ball baroque », réalisé au Centre Pompidou en 2013 avec les premiers vogueurs et vogueuses de Paris, et qui marque la création du Studio House of HMU. Le film met en tension un concerto baroque avec les règles et la gestuelle d’un bal de voguing. A partir de ce film fondateur, nous avons créé, dix ans plus tard, un concert performance, véritable bal baroque, qui invitait sur le plateau à la fois l’orchestre, les performeurs et performeuses du Studio House of HMU et le public.

"S’il (le voguing) retourne par moments dans la clandestinité, il ne cesse d’exister parce que les espaces d’expressions et d’inventions de soi sont une nécessité."

 

Peut-on revenir sur l’histoire du voguing ?

Le voguing est la danse que l’on connaît et qui appartient à une culture plus vaste que l’on nomme la culture ballroom, qui prend ses racines dans le grand mouvement artistique Harlem Renaissance, né à New York dans le quartier de Harlem au sein de la communauté artistique afro américaine dans les années 1920. N’étant pas représenté·es, artistes et penseur·ses afro américain·es créent alors à Harlem leurs revues, leurs expositions, leurs clubs de musique, leurs écoles. Ils et elles inventent leurs formes, leurs expressions, leurs langages – peinture, poésie, musique, littérature… C’est dans ce moment d’effervescence que les femmes travesties afro américaines (le mot transgenre n’existait alors pas) ont commencé de leur côté à organiser leurs concours de beauté, dans les seules salles qu’elles pouvaient facilement louer, des salles de bal (« ballrooms »), donnant ainsi naissance à une culture alternative afro américaine LGBTQI+, la culture ballroom.

Ces concours réinventent, à partir de ces figures féminines, tout un monde autour de la mode et de ses représentations sociales dont elles sont, pour cause, exclues. Dans les années 50-60, au moment où les couvertures des magazines de mode tels que Vogue passent de l’illustration dessinée à la photographie, les figures de la communauté transgenre et homosexuelle noire américaine commencent, dans leurs bals, à performer les poses des mannequins photographiés. Ces poses performées puis enchaînées donnent naissance à ce qu’on finira par appeler le voguing, en référence au magazine Vogue, et qui définit aujourd’hui cette danse performative de renversement des signes du pouvoir.

C’est un mouvement contestataire très puissant qui n’a cessé de se transformer au fil des décennies, intégrant au passage toutes les nouvelles représentations ou situations que la communauté rencontre. Le voguing, la danse, de son côté, absorbe des disciplines comme le ballet, le hip hop ou plus récemment la contorsion. S’il retourne par moments dans la clandestinité, il ne cesse d’exister parce que les espaces d’expressions et d’inventions de soi sont une nécessité. Le voguing va se répandre de façon plus accélérée au début des années 2000 grâce à Youtube et Internet, dans tous les Etats-Unis, pour arriver immanquablement en France et en Europe, et plus particulièrement à Paris qui devient aujourd’hui une capitale du voguing.

Quel est votre lien personnel avec cette scène du voguing ?
Je suis allé à Baltimore pour la première fois en 2011, grâce à une bourse, sur les traces d’un personnage de la série The Wire, Omar, un homme homosexuel qui vole la drogue aux dealers pour en redistribuer les profits à la communauté : une figure moderne de la masculinité qui s’invente en dehors des codes attendus. C’est à cette occasion que j’ai rencontré la scène du voguing de Baltimore, puis conséquemment celle de Paris, alors en éclosion. Le voguing a eu un sens très profond pour moi, dans ce qu’il met en défi nos conceptions, dans ce qu’il met la féminité au centre, dans ce qu’il offre des espaces d’émancipation, de création et de catharsis. De tels espaces devraient à mon sens aussi exister dans le monde de l’art, ce qui est devenu une part active de ma recherche : ouvrir des espaces de célébration.

Je rencontre à Baltimore trois des membres de la famille Revlon, Marquis, Kory et Dale, et à l’occasion d’une série de portraits que je réalise, je décide d’établir avec eux un travail de collaboration. Je m’empare de la vidéo et de la performance, des arts en temps réels, et je renoue alors avec mon passé dans la danse puisque j’ai été formé, comme administrateur, auprès du chorégraphe Andy De Groat. Je leur ai proposé de s’approprier un répertoire baroque qui pouvait, dans ses interprétations au clavecin très percutantes, soutenir leur performance et être à la hauteur de l’énergie et du beat de la musique habituelle des bals : la disco, la house music ou la musique électronique.

Ainsi, le spectacle Singulis et Simul est le fruit de cette rencontre, puis avec les premières figures de la scène du voguing de Paris, Vinii Revlon, Diva Ivy Balenciaga, Riya Stacks ou Matyouz Ladurée… Au final ce sont elles et eux qui représentaient la figure d’Omar que j’étais venu chercher.

Tout cela passe pour moi par une pratique, une expérience, une rencontre dans le travail de création – et cela produit des espaces festifs, où se redistribuent sans cesse, de manière non figée, les rôles de genre, de classe et de race. Célébrer, faire plutôt que dire, c’est ce qui est politique dans notre approche.

Quel est votre processus de travail au sein du Studio House of HMU ?

Un point central de notre processus, est de ne pas enfermer les membres du Studio HMU dans un rôle, en particulier de vogueur ou vogueuse : chacun et chacune est bien plus que cela, et le voguing n’est pas un espace ou un ensemble uniforme. Ce qui nous relie c’est le sens de la communauté. Exemple marquant, et ici la boucle se boucle : nous avons créé, en 2016 à la MC93, avec Marquis Revlon, Vinii Revlon et Diva Ivy Balenciaga, une version trans communautaire d’un Marching Band américain, une fanfare déambulatoire et dansante, comme on en trouve dans les quartiers de Baltimore. Marquis a découvert le voguing en pratiquant chaque semaine dans un gymnase de son quartier avec son groupe de Marching Band. J’étais alors, dès mon retour de Baltimore, en résidence en Seine-Saint-Denis, accueilli par la MC93, alors sans lieu. Cette aventure nomade d’une communauté de marcheurs et marcheuses réunissait toutes les possibilités de liberté et de transgression des codes du spectacle, des résidences, ou encore des stéréotypes et des attendus sur la banlieue ou sur les cultures queers. Singulis et Simul est le fruit de toutes ces rencontres et de toutes ces expériences.

Comment êtes-vous passé de la performance de Cincinnati au spectacle présenté ici ?

L’univers et la culture baroque résonnent avec l’univers du voguing, qui s’organise, comme à la cour du roi, autour de défis au sein d’une même communauté, dans des bals ouverts uniquement aux pairs, destinés à mettre en scène et perpétuer une organisation politique. La culture Baroque et la culture voguing sont le miroir l’une de l’autre dans une inversion des codes du pouvoir.

Nous avons travaillé longuement sur le vocabulaire baroque, afin qu’il infuse et soit absorbé dans la gestuelle voguing des performeur.ses. Enfin, j’avais envie qu’il y ait un danseur de Baladi (danse venue d’Égypte), pour intégrer une forme de danse traditionnelle, autant populaire que sophistiquée. J’ai pensé à Alexandre Paulikevitch qui est reconnu comme le danseur de baladi le plus pur – mais surtout le plus radical. En dansant le baladi au Liban, où il habite, en étant un homme, il a un dessein politique qui passe par la danse et le corps.

Tout d’abord commanditée par le magnifique Orchestre Symphonique de Cincinnati, la pièce a été créée en France pour une formation d’harmonie d’instruments à vent et clavecin. Les origines populaires et la particularité (section à vent sans cordes) de l’harmonie permettent d’inventer un son nouveau, une transposition ou une activation contemporaine du répertoire baroque choisi. Rameau, Boccherini, Vivaldi ou Bach, trouvent ici une réactualisation, parfois même samplée et réécrite – avec la même liberté que dans les sons des bals. Pour la reprise à la MC93 et pour la tournée, la formation musicale réunira sept musicien.nes d’harmonie de l’Orchestre de Spectacle de Montreuil, créé par Sylvain Cartigny, un percussionniste et deux clavecinistes. Cette formation d’harmonie, à la fois fanfare et orchestre de chambre, et soutenue par deux clavecins, entre en résonnance avec les origines du projet, fait exister l’idée omniprésente de la rue, et fait littéralement sonner le répertoire autrement.

La présence de films ramène en permanence l’extérieur dans le théâtre, et j’ai décidé de tourner les films dans le nouvel environnement de la pièce : la zone des CRS de Vélizy, le boulevard Lénine et ses constructions des années 1970-1980 à Bobigny, la dalle de Créteil Soleil, etc.

" (...) je crois que pour pouvoir être ensemble il faut d’abord pouvoir être soi-même. C’est ce qu’offre le voguing : se célébrer soi-même avant de pouvoir être dans le monde, en confrontation avec l’autre, collectivement."

 

Un mot sur le titre ?

Singulis et Simul, c’est l’inversion de la devise de la Comédie-Française, simul et singulis, « ensemble et soi-même ». Quand le roi a constitué la Compagnie royale, il a regroupé quatre compagnies différentes. La devise signifie : vous serez ensemble mais vous resterez vous-mêmes. Or je crois que pour pouvoir être ensemble il faut d’abord pouvoir être soi-même. C’est ce qu’offre le voguing : se célébrer soi-même avant de pouvoir être dans le monde, en confrontation avec l’autre, collectivement.

Propos recueillis par Olivia Burton en avril 2021.
Crédit photos © Marc Domage

 

Un spectacle avec la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre de son programme New Settings.