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Magazine

19 novembre 2018
À lireEntretiens2018-2019

Rencontre avec le théâtre documenté de Bruno Meyssat

20 mSv

On connaît assez bien le théâtre documentaire qui se construit à partir de documents de toutes natures. Pour parler de votre travail vous employez la formule de « théâtre documenté »…. Quelle différence établissez-vous ?

En fait c'est sur la façon de travailler avec les documents que mon travail diffère du théâtre documentaire. Les documents sont réunis en amont de la construction du spectacle. Je les partage avant que ne commencent les répétitions avec les acteurs et les techniciens. Ils servent à notre information sur un sujet donné, pour accéder au mieux à ce sujet et pouvoir le restituer à travers les sensations que nous avons eues à leur contact. Chacun de notre côté ou ensemble, chez nous ou dans les voyages que nous partageons, nous réunissons ces documents de toutes natures, textes scientifiques, philosophiques, littéraires, journalistiques mais aussi des photos, des films, des objets, des sons, des matières qui s'accumulent puis qui sont à la disposition de tous et en particulier des acteurs qui s'en emparent au moment des répétitions lorsque nous nous retrouvons.

"J'ai pu me déplacer dans la zone du sinistre, au plus près de cette centrale nucléaire. Difficile de ne pas être impressionné par ce séjour, par la violence du réel."
 

Vous avez déjà réalisé en 2009 un spectacle sur l'utilisation des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki en 1945. Aujourd'hui c'est plus sur le nucléaire civil que vous portez votre attention ?

Les deux sont bien sûr liés depuis les premières recherches sur l'atome. Mais les événements de Fukushima en mars 2011, qui semblent un peu tombés dans l'oubli, ont révélé la gravité de ce sujet. C'est à la suite d'une commande que m'a faite l'Université de Lyon-2, associée à l’École Normale Supérieure de Lyon, à l'ENSATT de Lyon et à l'Université de Tokyo, que je me suis rendu au Japon pour travailler avec des étudiants. L'atelier que j'ai dirigé, intitulé « La vie après Fukushima » m'a mis en contact direct avec ce que je ne connaissais que par ce que j'en avais vu ou lu dans les médias. J'ai pu me déplacer dans la zone du sinistre, au plus près de cette centrale nucléaire. Difficile de ne pas être impressionné par ce séjour, par la violence du réel.

À partir de la catastrophe de Fukushima vous voulez élargir votre propos ?

J'ai découvert au Japon les liens que le nucléaire français entretient avec son homologue japonais. Contrats entre Areva, la société qui gère le nucléaire en France, et les sociétés japonaises, présence de combustible venu de notre usine de la Hague, intervention de techniciens de maintenance français, dont certains étaient présents à Fukushima le jour du tsunami. Il paraît donc évident que nous devons nous intéresser à notre pays, puisque nous sommes la nation du monde la plus nucléarisée par rapport au nombre de ses habitants, mais aussi la plus épargnée, pour l'instant, par les accidents violents. En plus d'un voyage au Japon avec quelques-uns des interprètes, nous allons donc faire tout ce qu'il est possible de faire pour rencontrer des scientifiques français et pour visiter nos propres installations nucléaires, Creys-Malville ou Cruas, où celles concentrées dans le Cotentin.

"Nous voulons que le spectateur puisse percevoir des réalités, qui en général se dérobent, grâce au théâtre et à ses armes."
 

À partir de votre expérience et de vos recherches vous proposerez des réponses aux questions que le spectateur peut se poser ?

Non, tout notre travail est de questionner le spectateur lui-même, en transmettant les émotions que nous avons ressenties, en reliant des événements qui a priori sont éloignés ou des réalités peu visibles. Faire surgir des interrogations sur ce que le nucléaire révèle aujourd'hui de notre humanité, sur cette masse de déchets que nous accumulons pour des millénaires, sur cette contamination diffuse et les mensonges qu'on a fait circuler à ce sujet, sur notre impuissance et notre peur devant un danger à la fois présent et absent, sur la façon dont nous vivons au contact de cette inquiétude peu maîtrisable... Ce n'est pas le côté technique du nucléaire qui nous intéresse mais plutôt ce qu'il nous révèle de nos impuissances, de nos limites, de notre inconscient collectif... Nous voulons solliciter notre imaginaire et celui du spectateur et non lui asséner des chiffres et des connaissances précises, qui ont tendance à provoquer une saturation et un dégoût, même pour nous qui avons auparavant accumulé le matériel nécessaire pour développer cette imagination. Nous voulons que le spectateur puisse percevoir des réalités, qui en général se dérobent, grâce au théâtre et à ses armes. Remettre l'homme au cœur de ce sujet dont on le tient éloigné.

Mais l'homme est dans une situation instable par rapport à ce gigantesque problème ?

Il navigue entre inquiétude et déni de ces réalités. C'est particulièrement vrai pour tous ceux qui vivent à proximité des centrales et qui souvent y travaillent. Des études sociologiques ont été réalisées par des chercheurs patients, dont Françoise Zonabend dans le Cotentin (La presqu'île au nucléaire). Elles témoignent de ce malaise fait de « silences et d'oublis » caractéristiques. Il est quand même surprenant que le Japon, pays où la sécurité est une priorité absolue, soit aussi celui où il n'existait aucune réglementation officielle sur la gestion d'un possible accident nucléaire.

En ce qui concerne Fukushima on a parlé d'un accident provoqué par le tsunami, c'est-à-dire de quelque chose d'imprévisible. Avez-vous le même sentiment ?

Certainement pas, la question a été tranchée en 2012 par la Commission d’enquête mandatée par le parlement japonais. Elle désigne la responsabilité humaine de cet accident, En voici les termes: « L’ accident est le résultat d'une collusion entre le gouvernement, les agences de régulation et l'opérateur Tepco, et d'un manque de gouvernance de ces mêmes instances ». Qu’on pense encore le contraire  aujourd’hui souligne la puissance de la communication déployée au moment de l’accident et depuis lors.

"La sophistication technique de chacun des dossiers et le rôle des communicants pour créer des nuages de fumée nous interdisant, consciemment ou inconsciemment, de formuler des questionnements"
 

Votre spectacle précédent 15 %, créé en 2012, s'intéressait au monde de la finance mondialisée. Existe-t-il pour vous des liens avec ce que vous proposez dans 20 mSv ?

Il y en a au moins deux que l'on peut percevoir immédiatement. La sophistication technique de chacun des dossiers et le rôle des communicants pour créer des nuages de fumée nous interdisant, consciemment ou inconsciemment, de formuler des questionnements sur le fonctionnement précis de ces deux domaines, trop complexes, trop délicats, trop sophistiqués pour être pris en compte par des non-initiés. C'est sans doute pour refuser cette « impossibilité » proclamée par les spécialistes que nous avons eu ce désir d'aller y voir de près pour en parler à hauteur d'homme. Ces menaces, de nature différente, sont sans doute difficiles à imaginer et à représenter puisque même les documentaires, pourtant méticuleux et précis, n'ont pas réussis à mobiliser suffisamment pour changer la donne. Les ordres de grandeur des chiffres, on parle de millions d'années pour éliminer les déchets produits par les centrales nucléaires, nous condamnent souvent au silence. Le théâtre nous semble le lieu possible pour faire surgir les réalités par d'autres moyens que les rapports scientifiques ou les pétitions symboliques, qui bien sûr maintiennent la vigilance, tout en évitant le piège de la fable ou de l'incarnation.

Propos recueillis par Jean-François Perrier en mars 2018
© Photos Bruno Meyssat