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Carnets #6
« J’ai lu le rapport d’information parlementaire sur l’évaluation de l’action de l’État dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis paru en juin 2018 et disponible sur le site de l’Assemblée nationale. À cette lecture, j’ai été traversée d’un sentiment fort et paradoxal. D’une part l’effroi, celui de constater à quel point le territoire de la MC93 connaissait des problèmes récurrents face auxquels, dans la meilleure des hypothèses, l’État serait impuissant. D’autre part, une impression rassurante, celle d’éprouver que cela tient encore. Car tant que la République est capable de produire de tels rapports, d’exercer un esprit critique sur sa propre action, rien n’est irréversible et tout changement est encore possible.
En effet, — et cela figure clairement dans le rapport — tout déni entraîne inéluctablement plus d’inégalités, d’injustices et de colères. Le problème principal est simple ici et ailleurs. Il s’agit de la pauvreté, celle qui isole, enferme, désespère et que l’on tente parfois de présenter comme une fatalité. Alors que nous savons qu’il est possible de sortir de la pauvreté, qu’il faut la combattre au nom de l’égalité. Or, en dehors des politiques publiques de redistribution, nous savons aussi que les meilleures armes, pour permettre à celles et ceux qui subissent la pauvreté, de lutter contre elle, sont la confiance en soi et l’imagination et sur ces deux aspects, les lieux de la culture oeuvrent chaque jour.
J’ai trouvé, en effet, des correspondances entre ce qui est décrit dans ce rapport et ce que nous nous efforçons de faire à la MC93 dans l’exercice de nos missions de service public de la culture. Il y a tant de possibles inachevés et d’aspirations déçues par le manque de moyens qui nous est opposé. Nous le savons bien, nous qui accompagnons des aventures avec les artistes et avec les publics, nous qui mettons en relation des mondes souvent de manière invisible parce qu’intime, nous qui cherchons à partager les conditions d’une possible émancipation des êtres à travers l’art qui n’est jamais directement rentable. Nous le faisons en questionnant chaque jour nos méthodes, nos présupposés, pour que cela soit joyeux, distancié et si possible lucide. Cela nécessite de l’écoute, de l’humour et la capacité de se confronter au réel.
Je suis convaincue, de plus en plus, que le théâtre permet dans notre monde globalisé et virtualisé, une appréhension profonde de la réalité. Sans doute est-ce sur les plateaux que ce partage entre réel et fiction est sans cesse réinterrogé. Si au théâtre on joue "pour de faux" comme les enfants, la parole y est vraie depuis ses origines.
Le rapport parlementaire est bien réel, lisez-le et donnez-lui la vie démocratique qu’il mérite d’avoir, nous permettant de débattre de la société que nous voulons. Et comme je crois que la Seine-Saint-Denis dispose, qu’on le veuille ou non, de tous les éléments pour préfigurer le monde de demain (démographie, multiculturalisme, densité, économie inventive etc.), prenons-en soin ! Souhaitons que ses représentants élus continuent d’être courageux et ambitieux et rappellent à l’État notre devise commune « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Hortense Archambault, Directrice de la MC93
Novembre 2018