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Magazine

10 juin 2022
À lireEntretiens2022-2023

Créer un trouble des repères

Entretien avec Claire ingrid Cottanceau et Olivier Mellano autour de Rothko Untitled #2

Claire ingrid, Olivier, j’ai envie de commencer cet entretien par vous demander de parler de votre rencontre artistique. En 2018, vous avez présenté au TNS votre première création commune, NOVA − Oratorio, d’après des extraits de Par les villages de Peter Handke. Rothko, untitled #2 s’inscrit dans la continuité de votre désir de travailler ensemble. Quel en a été le point de départ ? Qui de vous deux souhaite en parler ?

Claire ingrid Cottanceau : Je peux te faire un petit historique. Quand on travaillait, Stanislas Nordey et moi, sur Par les villages [de Peter Handke. Claire ingrid était collaboratrice artistique sur ce projet], nous cherchions un musicien. À ce même moment, Olivier Mellano et moi avons été sollicités par un ami commun pour un autre projet. Le lien s’est fait comme ça, par un heureux hasard. J’ai présenté Olivier à Stanislas et il a rejoint l’équipe de Par les villages − il a composé la musique et jouait en direct sur le plateau. La rencontre s’est donc concrétisée à l’occasion de la création au Festival d’Avignon en 2013. Là, nous avons découvert que nous avions ce même amour commun pour le texte du personnage de Nova − c’est pour lui comme pour moi un « texte de chevet », qui nous accompagnait déjà depuis longtemps. Lors des représentations à La Colline et durant la tournée, j’ai par ailleurs repris le rôle de Nova, qu’interprétait Jeanne Balibar à la création.
Par la suite, Olivier et moi avons eu envie de prolonger une recherche sur ce texte de Nova, de construire un objet autonome à partir de cette parole. La création de NOVA − Oratorio a confirmé l’évidence de notre duo. Nous avons alors souhaité poursuivre ce partage sur une autre de nos passions communes : la peinture de Mark Rothko. Immédiatement, la question s’est posée : comment aborder un travail sur la peinture, sur l’émotion qu’elle peut procurer ? Il était évident que nous ne voulions pas faire un objet didactique, un documentaire ou un biopic sur Mark Rothko − ce n’est pas notre endroit.
Au travers de nos disciplines autonomes et singulières , nous sommes passionnés par la question de la réception. C’est ce qui traverse mon travail de vidéaste : comment traduire la réception d’un paysage, ou d’une peinture, d’une œuvre ? Pour Olivier, cette interrogation se pose aussi évidemment à l’endroit de la musique. L’ouïe s’est rapidement imposée comme vecteur pour parler de la peinture − comme premier déplacement nécessaire pour appréhender notre recherche. J’ai proposé à Olivier que nous fassions ce que nous avons appelé des « conversations » avec des êtres qui nous animent l’un comme l’autre − quelques-uns des êtres qui nous sont précieux. Nous nous sommes tournés vers Georges Didi-Huberman, Jean-Luc Nancy, Fabrica Midal, Arthur Nauzyciel et Zsuzsa Hantaï et leur avons proposé de partager avec nous leur ressenti de l’œuvre de Rothko. Pour chacune de ces conversations, nous avons élaboré un protocole singulier − échanger dans le noir pour parler de la couleur chez Rothko avec Georges Didi-Huberman; regarder et penser avec Jean-Luc Nancy devant les toiles de Rothko de la Fondation Beyeler à Bâle... Tous ces matériaux, ces dialogues, ont été enregistrés. C’est durant cette période qu’un jour Jean-Luc Nancy m’a offert un livre, Le Poème de la Chapelle Rothko de John Taggart [traduit par Pierre Alféri et Emmanuel Hocquard], poète américain. En le découvrant, une évidence est née, partagée par Olivier. C’était une matière faite pour nous : j’avais envie de dire ces mots, mâcher le texte, lui avait envie de le mettre en musique. (...)

« Il y a forcément un pan d’approche théorique dans l’élaboration, au début, mais on s’en débarrasse complètement une fois qu’on est sur le plateau. C’est une expérience sensorielle, singulière, qui est proposée. »

Olivier Mellano : L’endroit qui nous a fait nous rassembler Claire ingrid et moi n’est pas celui du théâtre – ou alors ce serait une scène de théâtre débarrassée de sa théâtralité. Notre recherche est un partage d’expériences, de poésie, de présentation davantage que de représentation, de « mise en vibration émotionnelle » plus que de narration. NOVA − Oratorio et Rothko, untitled #2 se rejoignent en ce sens : le rapport à l’émotion est primordial dans notre processus de travail. Il y a forcément un pan d’approche théorique dans l’élaboration, au début, mais on s’en débarrasse complètement une fois qu’on est sur le plateau. C’est une expérience sensorielle, singulière, qui est proposée.

 

La chapelle dont il est question dans le poème de John Taggart existe, c’est un endroit conçu par Rothko [à l’invitation du couple de Ménil, collectionneurs d’art. Situé à Houston, c’est un bâtiment octogonal, où sont exposées quatorze toiles du peintre] et qui a été pensé comme un lieu de méditation. Est-ce que cette chapelle, et l’idée de créer un lieu singulier, a été pour vous une source d’inspiration ?

Olivier Mellano : Non, parce que Taggart part de sa réception des œuvres, de ce que cela a mis en mouvement en lui. Je dirais qu’il part de l’intérieur des toiles, plus que du lieu en lui-même. C’est une expérience intime, méditative, finalement très abstraite − et qui n’est pas reliée à une quelconque religion comme peut l’évoquer le mot chapelle.

Claire ingrid Cottanceau : Ce qui est beau dans ce poème, c’est le paysage qui est porté sur chaque mot. Pour nous, cela rentrait dans la composition musicale : prendre chaque mot comme une note de musique et voir comme il peut ouvrir les sens. (...) La question de la confrontation a une œuvre, qu’elle soit musicale ou picturale − ici il s’agit de Rothko mais ça pourrait concerner bien d’autres artistes et notamment dans le domaine de la musique −, c’est comment elle peut t’amener à t’absenter de toi pour te retrouver. Un espace s’ouvre, qui te permet de te rassembler. C’est une forme de réconciliation.

Olivier Mellano : C’est vraiment ce qui est en mouvement dans le poème : quelque chose se répète en se modifiant, se trouble, se superpose, jusqu’à ce qu’une chose s’ouvre. Tout est en constante transformation, ce qui donne lieu à une disparition des frontières, une disparition du définitif. Il y a une adéquation incroyable entre le texte de Taggart et ce qui se passe dans les tableaux de Rothko avec le travail des couleurs : ces couches successives, cette porosité, qui mènent à un effacement des lignes et des contours. Sur le plateau, c’est cette même structure de strates composées de musique, de texte, de lumière qui finissent par se mêler pour ne plus faire qu’une seule pâte, une seule matière diffuse.

Olivier, tu interprètes en direct, à la guitare électrique, la partition créée pour ce poème dit par Claire ingrid et tu as aussi composé pour Les Voix Imaginaires. Pouvez-vous parler tous deux de leur présence dans le spectacle ?

Olivier Mellano : Nous avons utilisé un autre texte de John Taggart, Slow song for Mark Rothko, à partir duquel j’ai composé une pièce pour trois voix − Les Voix Imaginaires : Adèle Carlier qui est soprano, Isabelle Deproit, alto et Christophe Gires, ténor. (...)

Claire ingrid Cottanceau : Au travers des différents matériaux, une mise en tension se compose. Avec Le Poème de la Chapelle Rothko, on pourrait dire que je suis sur une forme d’horizontalité, sur une tension horizontale qui sous-tend l’ensemble du spectacle. Les Voix Imaginaires amènent la verticalité, des lignes d’élévation : la parole s’élève au travers du chant.

 

En passant de l’ouïe − avec l’ACR − au plateau, comment avez-vous recomposé le projet ? L’espace que tu as conçu, Claire ingrid, est-il devenu votre nouveau point de départ ?

Claire ingrid Cottanceau : D’une part, nous sommes repartis de l’œuvre de Taggart pour la recomposer autrement. Il a fallu construire une dramaturgie d’ensemble, en tenant compte de la rythmique. D’autre part, j’ai travaillé sur une installation − que je signe avec Fabrice Le Fur − faite uniquement de lumière. Je l’ai composée à partir de certaines toiles de Rothko, pour échafauder un lien fait de sensations. (...) Comme le précisait Olivier en introduction, on ne « représente » rien. Je pourrais exagérer en disant : il n’y a rien à voir. Il n’y a rien à voir, il n’y a qu’à vivre le moment, se laisser porter par la couleur, par sa perception jusqu’à douter de ce qu’on pense avoir vu. Des fumées de densités différentes nous permettent de créer des apparitions-disparitions, des points d’orgue où les trois chanteurs élèvent une lumière, élèvent des sentiments. (...)

Olivier Mellano : Ce que nous cherchons, c’est créer une forme de dissolution de l’espace, faire en sorte qu’on puisse ne plus percevoir les échelles de proportion, ne plus voir comment est fait le plateau, que les contours s’effacent, et que l’on puisse aussi s’abstraire des données temporelles. Nous voulons rendre tout poreux, qu’on ne sache plus trop où on est, s’il s’agit d’un temps rapide ou lent… Créer un trouble des repères.

« On ne « représente » rien. Je pourrais exagérer en disant : il n’y a rien à voir. Il n’y a rien à voir, il n’y a qu’à vivre le moment, se laisser porter par la couleur, par sa perception jusqu’à douter de ce qu’on pense avoir vu. »

Vous invitez, dans chaque lieu où vous jouez, une ou un chorégraphe à danser durant le spectacle. Comment concevez-vous ce moment ?

Claire ingrid Cottanceau : C’est un désir commun. En ce qui me concerne, ça fait partie de mes obsessions : comment un objet scénique peut être « redéplacé » chaque soir. (...) Et puis, il y a ce désir de se remettre en question, de pouvoir aussi s’offrir un pas de côté… Sur NOVA, il y avait un chœur d’amateurs, qui changeait aussi dans chaque lieu − des personnes âgées qui se mouvaient dans l’espace − et même si la partition était très précise, je la reconsidérais systématiquement parce que c’étaient des corps différents, l’énergie du groupe variait d’une ville à l’autre. J’aime expérimenter ce qui se modifie du fait de la densité singulière des corps, du rapport à la pensée, à l’imaginaire, etc. Sur Rothko, nous avons eu envie de repenser cette question en invitant une ou un chorégraphe, quelqu’un qui écrit avec son corps et danse. (...)

Olivier, comment as-tu composé ? As-tu travaillé, dans un premier temps, seul − en pensant aux tableaux de Rothko et en lisant le texte ? Ou as-tu eu besoin d’être d’emblée en connexion avec la voix de Claire ingrid?

Olivier Mellano : Il y a eu deux façons de travailler très différentes. La composition pour Les Voix Imaginaires, pour le trio, a été un travail très précis sur le texte de Taggart, quasiment mathématique, chaque répétition de mot induisant une répétition de note. C’est vraiment une partition « taillée sur mesure », sur chaque vocable. En ce qui concerne l’autre partition, que j’interprète sur scène et qui accompagne le texte porté par Claire ingrid, nous avons tout de suite travaillé ensemble en studio. Comme c’était le cas sur NOVA, il s’agissait de laisser éclore ce qui doit se passer sur le moment au niveau du son. Les premières lignes naissent d’une forme d’improvisation, de choses qui jaillissent naturellement. Au début, c’est de la texture, de la matière sonore, qui ensuite se développe en thèmes. Il faut trouver les bonnes vibrations, c’est presque comme de la couleur ou de la lumière, et la musique se compose à partir de là.

 

Extrait de l'entretien réalisé par Fanny Mentré pour le Théâtre National de Strasbourg.
(entretien à retrouver en intégralité ici)

Crédits photos © Felicien Cottanceau