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DÉCAMÉRON-19
Dans Le Décaméron, recueil de nouvelles de Boccace, de jeunes narratrices et narrateurs se confinent dans une maison pendant une Peste. Ils se racontent des histoires.
Sylvain Creuzevault, dont nous avons accueilli de plusieurs spectacles et ateliers à la MC93, a demandé à des acteurs d’enregistrer depuis chez eux ces nouvelles du Décaméron.
Ils ont répondu. Une série de miniatures sonores, de petites histoires du XIVe siècle est née, pour écouter cette œuvre tous chacun et chacune où nous sommes, et ne pas se délier malgré cette période de confinement.
Depuis le mardi 24 mars 2020, tous les jours à 8h, le site lundimatin publiera une nouvelle, lue par des acteurs français, mais aussi allemands, autrichiens, italiens, et autres. Cent nouvelles, une par jour.
COVID-É.ES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-NOUS (HEU… EN TANT QUE SÉPARÉ.ES)
C’est le printemps ! Maintenant qu’un milliard d’individus est tenu de rester chez lui, je me suis dit qu’il serait simple et vrai de faire enregistrer chaque nouvelle par des actrices et des acteurs de plusieurs pays, en plusieurs langues. J’ai écrit aux acteurs que je connais en France, mais également en Autriche, en Allemagne, en Italie, en Suisse, au Royaume-Uni (eux, je sais pas pourquoi ils n’ont pas répondu), une connaissance avait même une amie islandaise, j’invite encore. Ils m’ont répondu. Qu’ils soient ici remerciés. Ils sont 100, ils pourraient être 1000. D’ici à la fête de la Saint-Jean, nous aurons écouté ensemble Le Décaméron de Boccace, recueil de cent nouvelles, écrit entre 1349 et 1353, après la pandémie de peste noire de 1348. Alors là, les amis, vraiment, c’est à deux pas, presque 700 ans. Sept femmes et trois hommes sont retirés à quelques kilomètres de Florence, confinés. Et que font-ils ? Ils se racontent des histoires.
Dans l’histoire de l’Art, je cherche toujours ce que lie deux œuvres, le fil invisible qui attache l’une à l’autre. Quand je l’ai attrapé, je tire dessus, parfois il casse. Entre mes doigts se dessine ainsi une cartographie fugitive que j’arpente. Dans l’histoire des sociétés, je cherche toujours les passages, les chemins qui semblent s’être refermés parce qu’on ne les emprunte plus, les coins peu fréquentés passés de mode, je cherche dans le passé des éclats ignifugés de présent, les lieux communs oubliés, suspendus. Et je farfouille. Il y a quelques jours, à l’annonce par les chefs d’États du confinement général des populations, lorsque le virus s’est mis à monologuer, une petite routine traditionnelle m’a mené vite et bien vers Boccace et son Il Decameron.
Je vous donne rendez-vous. Un bête rencard, simple, et qui ne doit pas entrer dans la folie culturelle en milieu confiné… comme à table, ou au lit, comme on se raconte une histoire, un petit détour, un raccourci. Tel pourrait être du monde entier le bulletin quotidien : tisser des histoires par gros temps, toute couture dehors. Dans l’éloignement, nous nous lions à vous par une œuvre et son Nom. Depuis Eymoutiers, je vous lance des courages comme des guindes. Comme on dirait : ça part en Décaméron… juste une autre manière de chanter aux fenêtres…
Sylvain Creuzevault