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Magazine

14 janvier 2019
À lireEntretiens2018-2019

Entretien avec Christine Citti et Jean-Louis Martinelli

Ils n'avaient pas prévu qu'on allait gagner

Jean-Louis Martinelli, l’une des priorités énoncées de vos projets récents est de faire émerger des écritures contemporaines inédites.

Jean-Louis Martinelli : Avant d’aborder un projet, plusieurs nécessités se font jour : tout d’abord, je dois être séduit par l’écriture, la force du langage ; qu’un texte pose des questions au théâtre, amène donc à rechercher une forme, enfin que ce texte interroge la marche du monde. Ce sont les qualités que doivent revêtir les textes dont je m’empare, pour pouvoir les traduire sur scène, pour pouvoir dire « je » à partir des mots d’un autre, comme « metteur en scène, traducteur et interprète. »

"Nous sommes arrivés avec l’illusion que nous allions changer le monde, cette illusion est tombée depuis. C’était cela qui animait le désir de théâtre, c’était de prétendre prendre la parole sur le monde et pas l’amour immodéré du théâtre en tant que tel."
 

Une deuxième priorité dans vos récents projets, qui ressemble à une urgence politique, est d’évoquer le sort de ceux « qu’on ne veut pas voir » selon vos propres termes.

J-L.M : Cela s’accentue mais n’est pas nouveau pour moi. Cela fait un moment que j’ai ce souci. Une anecdote - ça n’est pas dans mon cv, je peux vous la raconter ! - le premier spectacle que j’ai monté quand j’étais étudiant dans une école d’ingénieur était une sorte de création collective, cela s’appelait Défense de circuler sous la charge et l’on y dénonçait les conditions de travail à l’usine. Comme un certain nombre de gens de ma génération, nous sommes arrivés au théâtre dans l’après 68. Nous y sommes arrivés avec l’illusion que nous allions changer le monde, cette illusion est tombée depuis. C’était cela qui animait le désir de théâtre, c’était de prétendre prendre la parole sur le monde et pas l’amour immodéré du théâtre en tant que tel. Quand je travaillais par exemple avec Lars Norén ou Laurent Gaudé dont je me sens très proche de la démarche, c’est aussi parce qu’on y entend des gens qui sont des laissés pour compte. Tout comme dans le texte de Christine Citti.

"L’idée était d’aller chercher dans les zones plus sombres, les plus fermées."


Comment est née l’idée d’immersion dans un foyer d’accueil d’urgence pour mineurs et en quoi a consisté votre activité dans le foyer ? 

J-L.M : L’idée était d’aller chercher dans les zones plus sombres, les plus fermées. Au départ, il n’y avait pas forcément l’idée d’une pièce. J’ai d’abord pensé que je pourrais faire du théâtre dans ces endroits-là, mais nous n’avons pas pu réellement en faire. Ce sont des lieux de très grande instabilité, aussi bien dans la rotation du personnel d’éducateurs que parmi les jeunes qui arrivent, qui repartent. Il n’y a pas de locaux adaptés. Il y a eu des rencontres, des esquisses, on a essayé de faire des bouts d’images, on a réalisé un document image pendant une semaine. De son côté, Christine Citti menait un travail plus secret, je ne savais pas sur quoi cela allait déboucher. 

Christine Citti : Comme il s’est avéré impossible de faire du théâtre, j’ai d’abord eu l’idée de faire travailler les jeunes sur leurs rêves, mais cela aussi était compliqué. Pendant tout le temps où on y a été, très régulièrement - et c’est un peu ce que je raconte dans la pièce - j’étais sans fonction. J’avais mon carnet et j’écrivais des choses, parfois juste pour me donner une contenance et parfois je parlais avec l’un, avec l’autre. Nous nous sommes alors retrouvés dans une situation assez étrange où rien n’était défini de ce qu’on faisait là. Dans ces lieux, il n’y a pas d’endroit pour une activité. Il y a une grande salle, c’est là qu’ils sont tous, où ils mangent, où il y a le baby-foot. Je pense qu’on peut réaliser des choses dans des lieux comme ça mais avec un encadrement, une préparation. Et puis les quinze derniers jours, on ne savait plus quoi faire, non pas par manque d’idées, mais parce que c’était très compliqué. Je me suis dit : je vais faire un peu comme avec mes enfants. J’ai apporté de la peinture, des pinceaux, des grandes feuilles et puis je leur ai dit : venez dessiner. Au départ il y en avait deux et au bout de quelques jours ils étaient très nombreux. Les jeunes se sont mis à parler tout en dessinant.

À quel moment vous est venue l’idée d’écrire une pièce de théâtre à partir de cette expérience ? 

C.C : Pour moi l’envie est venue assez vite, d’abord parce que le théâtre est le mode d’expression dont je suis le plus proche. Et j’étais bouleversée par ce que je découvrais : en dehors évidemment du fait que ce sont des jeunes (entre treize et dix-huit ans) ils sont tous dans des situations familiales et sociales terribles. Les filles ont presque toutes vécu des épisodes de violences sexuelles ou de violences physiques au sein de leur famille, dans leur quartier, dans les différents endroits où elles sont passées. Plusieurs ont fait des tentatives de suicide, et le plus terrifiant c’est que pour elles, tout cela semble banal. Elles ne racontent pas, mais évoquent ces épisodes comme un sujet anodin.

Avez-vous effectué des enregistrements ou pris des notes pour restituer le réalisme de la langue orale ?

C.C : J’avais pris quelques notes sur des expressions. Quand ils parlent, ils ont des images incroyablement fortes. Je les ai écoutés, regardés. Beaucoup.

"C’est parce qu’il y a recomposition du réel qu’on peut prétendre à une écriture et à - avec tous les guillemets d’usage - une œuvre d’art."
 

Pourquoi pas, ici en particulier, un théâtre documentaire constitué des témoignages « bruts » des jeunes ? Quelle est dans ce projet la fonction du travail d’écriture entrepris par l’auteure Christine Citti ? 

J-L.M : On peut travailler sur une matière brute, mais il se trouve que ça n’est pas ce que j’ai envie de faire. La question est comment se nourrit-on ? Les écritures qui m’importent sont souvent nourries du monde. Pourquoi ne pas passer par le théâtre documentaire ? Parce que je crois, je suis persuadé même, qu’une oeuvre relève de l’art de la composition et pas simplement du reportage. C’est parce qu’il y a recomposition du réel qu’on peut prétendre à une écriture et à - avec tous les guillemets d’usage - une œuvre d’art. C’est comme pour l’art de l’acteur. Ce qui m’intéresse chez l’acteur c’est qu’à un moment donné on ne sache pas qui parle, qu’on se dise « est-ce un personnage de fiction ou est-ce lui ? ». C’est la recherche de l’apparence d’une matière brute qui n’apparaît pas forcément recomposée alors qu’elle l’est ! L’écriture est un artifice, c’est ce que dit Jean Eustache à propos du cinéma : « le faux c’est l’au-delà » et c’est un peu ce faux-là que je cherche. Cela peut paraître contradictoire puisqu’il y a un souci du réel, mais aussi une nécessité de retranscription pour présenter ce faux comme vrai et vraisemblable ! C’est la démarche de toute oeuvre d’art il me semble.

"Raconter cette histoire, donner à entendre cette matière chorale, c’est aussi attirer l’attention sur ce qui est dans notre société." 


Le titre de la pièce provient d’une chanson plutôt triomphaliste du rappeur Lartiste. On ressent chez certains personnages un accablement, une impuissance devant l’adversité quand d’autres témoignent d’une remarquable combativité. Quelles sont d’après vous leurs chances de « gagner » ? 

J-L.M : Ah, j’aimerais bien que...! C’est difficile à dire mais - et je ne veux pas du tout accabler les gens qui s’en occupent - je trouve qu’il n’y a pas assez d’efforts qui sont faits en direction de cette jeunesse, et c’est pour ça qu’on a envie de monter ce spectacle. La réalité est bien plus violente que ce que la pièce décrit. Il y a la déscolarisation, la violence du milieu familial, et une certaine liberté par rapport au milieu familial qui est parfois violent mais plus contraignant pour l’adolescent. Les éléments les plus charismatiques sont souvent les plus limites. Alors quelles chances ont-ils, je ne sais pas. En tous cas, raconter cette histoire, donner à entendre cette matière chorale, c’est aussi attirer l’attention sur ce qui est dans notre société.

Je pense qu’effectivement, depuis qu’ils sont nés, personne ne s’est jamais dit : « ils vont gagner », même si je ne sais pas exactement ce que veut dire « gagner ».
 

C.C : J’ai choisi le titre de la pièce tout de suite. Souvent, je n’arrive pas à écrire sans un titre ! C’est le titre d’une chanson qu’ils écoutaient en boucle. Quelle chance ont-ils de gagner ? Je pense qu’effectivement, depuis qu’ils sont nés, personne ne s’est jamais dit : « ils vont gagner », même si je ne sais pas exactement ce que veut dire « gagner ». Cette période de l’adolescence est une période de grande demande affective et dans ce lieu, il n’y a concrètement pas la place, pas de temps pour les futilités, les fantaisies, pour les douceurs. Et puis l’écoute que les éducateurs essayent vraiment d’avoir n’est de fait qu’une écoute sur les problèmes. Ils n’ont pas le temps.

Alors que vous vous gardez de tout angélisme dans les portraits des protagonistes, le spectacle suscite une empathie évidente envers ces jeunes et témoigne de leur intelligence des mécanismes sociaux qu’ils subissent.

J-L.M : Il y a chez ces jeunes une énergie considérable, une vitalité qui est piégée dans des ghettos. Il y a là un travail à mener sur l’éducation, sur le déplacement géographique. On a bien vu, quand on commence à leur montrer des films, à susciter des discussions, le débat est vif et riche. La question est comment on gère la sphère d’émotions chez ces jeunes et comment on leur donne d’autres ouvertures.

Dans quel état d’esprit abordez-vous les répétitions à venir et l’élaboration du spectacle dont vous avez, pour l’instant, donné deux lectures publiques ?

J-L.M : Je dois encore trouver la forme du spectacle. Ce qui est sûr, c’est que je ne vais pas reconstituer un lieu réaliste qui pourrait ressembler à un foyer avec un baby-foot, une table de ping pong, une cuisine délabrée. J’imagine qu’au bout de trois semaines de répétitions, je vais oublier le réel pour être dans l’écriture. À partir de maintenant, j’ai ce texte entre les mains, mon souci c’est de me décoller du réel pour aller vers quelque chose qui est un questionnement théâtral.

C.C : Ça fait longtemps qu’on fait des projets ensemble, mais cette fois, il y a cette expérience commune de la résidence dans le foyer et c’est notre premier spectacle en tant que moi auteure-comédienne et Jean-Louis Martinelli, metteur en scène. Les acteurs, jeunes et les moins jeunes, sont très investis dans le projet. Cela a du sens de créer ce spectacle à Bobigny pas loin de ces jeunes pour qui j’ai voulu écrire cette pièce. 

Propos recueillis par Tony Abdo-Hanna en mars 2018.