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Magazine

11 mars 2019
À lireEntretiens2018-2019

Entretien avec Myriam Marzouki

Que viennent les barbares

Votre précédent spectacle, Ce qui nous regarde, interrogeait le regard posé sur les femmes portant le voile. Quelle est la question de départ dans Que viennent les barbares ?

Elle est issue du travail sur Ce qui nous regarde. Derrière cette difficile perception du voile et de tous les débats de société qu’il suscite autour de l’islam, du féminisme, de la laïcité, je me suis rendue compte que la question en jeu était aussi celle de la citoyenneté. Toutes les femmes interrogées m’avaient répondu : on ne me regarde pas comme française. Alors qu’elles l’étaient toutes. À qui accorde-t-on d’emblée, dans le regard, la citoyenneté française ? L’idée du spectacle a germé ainsi. Je ressens une difficulté dans le débat public à reconnaître la France comme une société constituée de citoyens véritablement divers dans leurs apparences et leurs origines, des citoyens aux appartenances également multiples et complexes.

Je crois que ce qui pose problème c’est de vivre aujourd’hui dans une France où les Français ne sont plus seulement blancs.
 

Je crois que ce qui pose problème c’est de vivre aujourd’hui dans une France où les Français ne sont plus seulement blancs. Et cette difficulté est en décalage avec la définition abstraite de la citoyenneté française, généreuse et universelle qui ignore le sexe, la couleur de peau et toutes les spécificités du corps. Nous sommes dans un moment saturé de réactions affectives. D’un côté, il y a la colère de millions de Français qui éprouvent un fort sentiment d’injustice à être traités comme des citoyens de seconde zone : les enfants de la décolonisation qui subissent discriminations sociales et violences policières. De l’autre, la peur d’une partie de la société française qui regrette que le pays ne ressemble plus à ce qu’il a été et mythifie une France qui n’a sans doute jamais existé.

On peut être moralement et intellectuellement antiraciste et participer inconsciemment ou presque, à la perpétuation de structures sociales discriminantes.
 

On peut être moralement et intellectuellement antiraciste et participer inconsciemment ou presque, à la perpétuation de structures sociales discriminantes. C’est même peut-être le cas de la majorité d’entre nous. Alors je cherche comment le théâtre peut rendre sensible cela et créer des zones de doute, d’inconfort et de reconnaissance de soi. Je crois aussi qu’il faut prendre au sérieux le fait que ce n’est pas facile de vivre avec ceux qui ne nous ressemblent pas. On a tous tendance à se rassembler par milieux sociaux, affinités professionnelles, par couleur de peau aussi. Or dans le monde entier les migrations, les exils, sont devenus un phénomène massif et plus jamais on ne vivra dans un village ou une ville où il n’y a que des gens qui nous ressemblent. Il faut en prendre acte ! Tout cela dessine un paysage nouveau, et c’est finalement ce paysage, mental, historique, imaginaire que je veux explorer sur scène.

On a créé des situations de fiction où se rencontrent des personnages inspirés de figures historiques, et d’autres qu’on a imaginés.
 

Quelle est la place de la fiction dans le spectacle ?

Nous avons commencé par des recherches documentaires en identifiant des thèmes et des problèmes dont on avait envie de parler parmi lesquels la façon dont sont considérés les citoyens français noirs dans le récit national français, l’antisémitisme, la mémoire toujours blessée de la guerre d’Algérie. Ensuite, on a créé des situations de fiction où se rencontrent des personnages inspirés de figures historiques, et d’autres qu’on a imaginés. Nous jouons avec l’histoire, des fictions s’entremêlent avec des anachronismes assumés, car j’aime les rencontres poétiques qu’ils permettent. Pour moi la place de la fiction n’est pas seulement dans la parole des acteurs, mais aussi dans la forme de réalisme décalé, légèrement tordu ou absurde qu’on cherche à faire exister au plateau.

Il y a une phrase de Pasolini qui m’inspire beaucoup : à propos de son travail sur La Rabbia, un film à base d’archives de la télévision italienne des années 50, il écrit : « J’ai fait ce film, sans suivre de chronologie ni même de logique mais en m’appuyant sur mon sentiment poétique et mes raisons politiques. » Je partage cette envie de jouer avec la chronologie et d’associer pensée et recherche esthétique.

Comment partagez-vous l’écriture avec Sébastien Lepotvin ?

M.M : Écrire est tout d’abord pour nous deux une manière de tenter de formuler plus clairement nos propres questions sur le sujet. On avance par allers et retours et couches successives sur toutes les scènes du texte. J’aime bien ce processus. C’est rassurant et en même temps exigeant. Car quand on écrit seul, on peut se bercer d’illusions ou manquer de courage. A deux, on se réalimente. Ça passe par beaucoup de contradictions et un travail de ciselage, de couture de plus en plus précis en avançant ensemble dans l’écriture. Nous travaillons également dans un aller-retour nécessaire avec le plateau, les différents temps de répétitions. Le texte est une trame initiale qui va continuer de s’écrire à partir de la mise à l’épreuve avec les comédiens.

Nous allons jouer avec les physiques des comédiens pour venir mettre un peu de trouble et aussi de la vie et du jeu dans toutes ces obsessions identitaires !
 

Avec quels outils scéniques avez-vous envie de jouer ?

M.M : Je pense les personnages un peu comme des spectres, des figures du passé dont la présence irradie encore quelque chose pour nous aujourd’hui et que le travail de mise en scène fait revenir au présent. Certains sont là, très incarnés par les comédiens. D’autres sont plus de l’ordre de l’apparition. Et ils rencontrent des personnages contemporains, ancrés dans notre présent. J’envisage les possibilités du plateau comme autant de manières de traiter ces degrés de « spectralité ». La création sonore va permettre également de faire ce voyage à la fois intime et collectif dans le passé et ses traces sonores. Enfin, il y aura un travail chorégraphique car nos perceptions de l’autre sont toujours liées à des réactions de corps à corps, qui se jouent en deçà des mots. Nous allons jouer avec les physiques des comédiens pour venir mettre un peu de trouble et aussi de la vie et du jeu dans toutes ces obsessions identitaires !

À quoi fait référence le titre de votre spectacle Que viennent les barbares ?

À un poème de Cavafis, poète grec d’Alexandrie, écrit en 1904 : En attendant les barbares. C’est un texte étonnant, que l’on imagine situé dans l’Antiquité : les Romains sont rassemblés sur une place pour se protéger d’une invasion barbare imminente. Ce texte a été comme un moment d’éclaircissement de la thématique sur laquelle j’avais envie de travailler : cette inquiétude contemporaine de l’autre perçu comme danger, comme ce qui va mener au chaos et qui rejoint cette figure archaïque du barbare. Le poème m’a plu par sa force symbolique, cette dimension des imaginaires que je voulais explorer.

Propos recueillis par Olivia Burton en mars 2018.