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Magazine

10 janvier 2019
À lireEntretiens2018-2019

Entretien avec Phia Ménard

Saison Sèche

"Quand la proie se rebelle le chasseur est souvent démuni."
 

Vous n'êtes pas interprète de votre spectacle mais vous intervenez brièvement au début de la représentation. Pourquoi ?

Parce que ce spectacle m'engage personnellement et que ce qui va être joué correspond à ma propre expérience, à mon vécu. Cette petite phrase que je dis, est sans doute celle qui me paraît être la plus révélatrice de ce que j'ai pu entendre depuis que j'ai commencé mon passage d'un corps d'homme vers un corps de femme. La plupart des femmes entendent ce genre de réflexion et elles en parlent entre elles. Moi, j'ai la possibilité de la restituer publiquement devant ceux qui sont venus voir et entendre ce que j'avais à leur dire et je sais qu'ils sont en état de l'entendre à partir du moment où ils ont fait la démarche pour être présent dans cette salle. Pour les hommes bien sûr, la proposition peut apparaître plus provocante, en les renvoyant à cette parole terriblement masculine. Toutefois, il me semble qu'il est nécessaire de ne pas faire semblant et d'attaquer de front le sujet même du spectacle. Cette phrase qui m'a été adressée par un jeune homme est révélatrice d'un comportement, celui d'un homme sûr de ses privilèges qui ne s'attendait sans doute pas à ce que je vienne lui répondre dans l'oreille qu'il n'était pas à la hauteur de sa proposition. Quand la proie se rebelle le chasseur est souvent démuni.

Vous qui avez été un homme avant de devenir femme comment viviez-vous ce statut ?

J'ai su très jeune, aux alentours de ma dixième année, que je n'étais pas vraiment ce que mon corps donnait à voir. C'est au moment de la puberté, ce moment de rupture, quand la famille, et plus généralement la société, vous impose un comportement de garçon ou un comportement de fille que j'ai commencé à me poser des questions et à entrer dans un processus de refus. Refus de ce rôle qu'on voulait m'imposer. Comme beaucoup d'hommes je ne me rendais pas compte des pouvoirs que me donnait ce statut que j'avais malgré moi, d'autant plus que je le supportais mal. Mais il a fallu ma rencontre avec une pratique artistique pour que je puisse survivre. Rencontre qui s'est passée vers 18 ans quand j'ai découvert les différents métiers du cirque et que j'ai commencé à pratiquer le jonglage. J’ai pu pour la première fois sortir du malaise dans lequel je vivais en me travestissant, en ne sachant pas trop où j'en étais avec ma sexualité. Je découvrais que la virtuosité que j'avais en jonglant me permettait alors de comprendre que mes gestes partaient d'un corps que je ne reconnaissais pas, reconnu comme celui d'un homme, mais que ma gestuelle, ma façon de m'exprimer, pouvait être plus ouverte et dépasser cette image masculine. À partir de là, j'ai pu évoluer pour en arriver à ce changement volontaire de corps, j'avais 30 ans. Je peux affirmer que le passage sur le plateau, du cirque ou du théâtre, a été fondamental dans mon histoire et dans cette libération, car j'ai pu dédramatiser ce choix souvent très difficile du changement de corps, surtout pour ceux qui vivent dans d'autres milieux moins « accueillants ».

"J'ai compris que je ne pouvais pas m'arrêter là et qu'il fallait aborder le sujet de la domination et de la soumission au patriarcat."
 

Votre parcours artistique est riche d'expériences diverses en lien avec des centres d'intérêts multiples, en particulier en rapport avec les matières, les objets, les liquides.... Comment s'est fait le chemin vers Saison Sèche qui semble évidemment d'une autre nature ?

Saison Sèche est bien sûr d'une autre nature que Vortex même si la matière y joue un rôle important scénographiquement. Mon parcours d'artiste est fait de rencontres, de croisements,de curiosité, de désirs. C'est en jouant PPP, spectacle dans lequel j'effectuais une mue corporelle, que j'ai entendu beaucoup de femmes venir me dire qu'en parlant de moi j'avais aussi beaucoup parlé d'elles. J'ai compris alors que je devais poser de bonnes questions puisque j'avais ces retours. J'ai donc poursuivi mon chemin sur cette voie en imaginant Belle d'hier, où je demandais à cinq femmes d'en finir sur le plateau avec le fantasme du prince charmant et de ranger l'Humanité en effectuant LA dernière lessive. Après cette création, j'ai compris que je ne pouvais pas m'arrêter là et qu'il fallait aborder le sujet de la domination et de la soumission au patriarcat. Je suis une femme, après avoir été une sorte de corps exotique quand j'étais trans, et je devais exprimer ma sororité avec encore plus de force en m'attaquant de front au patriarcat, en dépassant la simple dénonciation, pour toucher à la question de fond, celle de son effondrement nécessaire. Ayant vécu plus de trente ans dans un corps d'homme, il me paraît que j'ai aussi, peut-être, une expertise intéressante pour aborder ce sujet. J'ai appris les codes masculins même si, en réalité, je me sentais travestie en homme.

"Les rituels permettent de se réapproprier quelque chose de dissimulé et d'établir un dialogue entre les humains sous une forme différente."
 

Le théâtre peut donc dépasser pour vous la simple dénonciation, le simple manifeste ?

C'est l'endroit de l'humanité où il est encore permis de poser des questions, de toucher les plaies, parce qu'il y a la possibilité de la transcendance. Le manifeste est une opinion politique, l'art du théâtre touche à l'inconscient, à la représentation corporelle, au fantasme, au spirituel. Il ouvre des portes pour mieux pénétrer dans les mystères du non dit, de l'implicite. On travaille avec les mythes, avec les représentations. Il y a bien sûr du « manifeste » dans mon spectacle mais il passe par le corps, par la présence et non seulement par l'intellect. On peut partager l'expérience physique des interprètes, la ressentir dans nos corps de spectateurs. Un jour, Jean-Luc Beaujault (co-auteur) m'a fait découvrir Les Maîtres fous de Jean Rouch où l'on voit des africains du Ghana et du Niger, à l'époque de la colonisation, interpréter les personnages emblématiques du pouvoir colonisateur, général, médecin, administrateur, dans des cérémonies religieuses de possessions d'une extrême violence. Ces colonisés convoquaient l'esprit des colons, ils en étaient possédés pour tenter de mettre à bas le système colonial, fondé sur la domination des blancs sur les noirs, symboliquement mais suffisamment dangereusement pour que ces cérémonies soient interdites par les colonisateurs. Saison Sèche s'inspire de ces rituels sur lesquels j'ai travaillé avec les interprètes en leur demandant de chercher au fond d'elles-mêmes ce qu'elles pouvaient découvrir de leur soumission au pouvoir masculin. En s'appropriant les gestes masculins, symboles explicites du pouvoir, en incarnant les stéréotypes masculins, elles transcendent ce pouvoir. La caricature devient efficiente pour remettre en cause les fondements du pouvoir. Le ou les rituels permettent de se réapproprier quelque chose de dissimulé et d'établir un dialogue entre les humains sous une forme différente.

Vous inscrivez le parcours de ces femmes dans un décor qui semble très « signifiant » ?

Pour imaginer cette scénographie, je pars là encore d'une expérience personnelle. Pendant des années, j'ai vécu dans la peau d'un homme, et je vivais la rue comme un espace d'invisibilité alors qu'en devenant femme je vis la rue comme un espace d'extrême visibilité. Qu'est-ce qui a changé ? Simplement l'apparence de mon corps. Puis je me suis aperçue que l'architecture qui nous entoure est essentiellement une architecture conçue par des hommes et pour les hommes. Comment imaginer un décor signifiant pour mon propos ? La lecture d'un article de la romancière Nancy Huston dans le journal Le Monde où elle affirmait qu'il fallait « tuer la virginité » m'a donné cette idée du blanc, image absolue de pureté, de virginité et donc preuve d'une féminité rêvée par les hommes. Ensuite, je voulais exprimer cette idée de la surveillance que je supporte dans l'espace publicet j'ai eu l'idée des meurtrières, images symboliques depuis toujours de surveillance permanente, de regards cachés qui espionnent. Enfin, il y avait ce poids qui pèse sur les femmes et j'ai imaginé ce plafond (de verre) mouvant qui peut réduire sans cesse l'espace vital. Une fois cet espace d'enfermement installé, il devait évoluer, devenir fragile sous l'effet du rituel de transformation avant de s'effondrer...

Mais dans ce décor blanc devenant noir il y a beaucoup de couleurs sur le corps des interprètes…

Les corps se teignent quand les phénomènes de possession, de transformation agissent sur eux. Comme pour les Haukas filmés par Jean Rouch. En se peignant les femmes peuvent changer de corps jusqu'à devenir des super héros masculins. En jouant et en se transformant elles créent des avatars masculins compatibles avec leur féminité. Elles deviennent ces hommes qu'elles auraient pu être en changeant de sexe.

Ces femmes en état de possession sont des sorcières ?

Pas du tout… Elles se donnent la possibilité de la transe pour jeter en pâture les stéréotypes masculins dont elles se débarrassent en les offrant aux regards des spectateurs. Mais dans une transe de théâtre qui est différente de la transe qui, dans la vie, mène parfois à la folie. C'est une transe structurée qui ne ressemble pas aux transes religieuses des grandes mystiques.

Vous êtes une artiste à visages multiples, interprètes, metteuse en scène, scénographe... Cela vous donne-t-il plus de force dans votre expression artistique ?



Dans toutes mes formes d'expression, je ne fais que poser des questions, ce qui paraît aujourd'hui constituer un acte de résistance. Je propose de l'inattendu pour renouer le dialogue et sortir des stéréotypes qui isolent et détruisent. Je ne mène pas un combat contre les hommes mais contre le système du patriarcat, que je vois comme une association de malfaiteurs qui le plus souvent ignorent qu'ils sont des malfaiteurs.

Propos recueillis par Jean-François Perrier en novembre 2018.