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Magazine

20 mars 2023
À lireEntretiens2022-2023

Être ici et maintenant

Entretien avec Nacera Belaza pour Les Sentinelles.2

À l’origine Les Sentinelles est un duo que vous avez créé en 2010 et que vous reprenez aujourd’hui avec plusieurs danseurs : dans quelle intention ?
 
En réalité cette pièce est tout le temps en travail dans les autres pièces. Parce que c’est le degré zéro de l’écriture. C’est l’« être-là ». Et cela n’est pas du tout une question de déplacement lent ou de quoi que ce soit de cet ordre. Cet « être-là » est une recherche de toutes les écritures, de toutes les pièces. Dans Les Sentinelles il ne se passe que cela ! On se trouve à cet endroit de vigilance, d’écoute très affûtée, comme pendant les quelques secondes où s’établit le noir dans la salle avant que ne débute la pièce. Il y a — aussi bien chez les interprètes que chez le public — une attention accrue ; on se hausse pour percevoir ce qui se passe plus loin. On attend, on s’attend à tout et quand le premier geste a lieu, il nous est donné une réponse qui assez rarement comble cette attente infinie. Je me suis donc demandée : que faut-il faire pour éviter cet « affaissement » de nos aspirations ? En fait, il faut éviter de donner une réponse ! Il s’agit de rester dans l’attente, sur le qui-vive, au cœur de ce qui est, ici et maintenant, et non dans une projection. Étant donné que la dramaturgie est alors réduite à sa plus simple expression, ce sont vraiment nos deux états, interprètes et spectateurs, qui sont mis en relation directe, qui interagissent.
 
Comment décririez-vous cet « être-là » que vous évoquez ?
 
Je me suis rendue compte que tous les gestes dans toutes mes pièces m’enseignent quelque chose de fondamental. Répéter un mouvement, pour quelqu'un comme moi dont la patience est loin d’être la plus grande qualité, paraît curieux, mais je le fais parce que je sais qu'en fin de compte un infini est contenu en toute chose. Le mouvement répétitif est devenu plus satisfaisant pour moi, plus inspirant, qu'un mouvement qui combinerait diverses formes et trajectoires et qui, finalement, tournerait un peu en rond. L’« être-là » c'est un défi énorme pour moi qui suis tout le temps entre mille et une pensées ou sollicitations. La question centrale est : comment se rassembler et s’exhorter à être ici et maintenant ? Les Sentinelles est une pièce où, si l’interprète se projette dans l'après, ne serait-ce qu'une fraction de seconde, il précipite le tout et fait perdre à la pièce toute sa consistance. Si toutes les pièces de mon répertoire supposent à priori cet « être-là », il est tout simplement le sujet des Sentinelles.

« Je demande aux danseurs de retrouver cette innocence-là : apprendre à effacer, à faire du vide en eux, à ne plus savoir. »

Vous réunissez des danseurs professionnels et amateurs. Qu’apportent ces derniers ?
 
Cet « être-là » que j’évoque est en deçà du mouvement, c’est le point de rencontre idéal entre le spectateur, l’interprète et l’amateur. Pour moi, c’est lorsqu'on est délesté de la préoccupation du corps — Comment je me tiens ? Que se passe-t-il dans mon corps ? etc. — que l’on se rencontre tous, parce que le point commun c’est le « pré » mouvement, et pas le corps. Une fois que l’on est entré dans le corps c’est déjà trop tard, c’est avant que se produit le lien. C’est souvent là que le danseur rate le coche : une fois que le corps est en mouvement, le contact a déjà été établi, même dans le noir. L’amateur a une qualité très précieuse : il n’a aucune confiance en son corps, il ne sait pas ce que son corps va réussir à faire ou pas. Je préconise souvent d’entrer dans son corps comme dans un corps étranger. C’est-à-dire de l’explorer comme si c’était l’inconnu. Quand on est un danseur on revient difficilement à cela. L’amateur est à l’écoute de l’inconnu, et l’inconnu ce n’est pas quelque chose de nécessairement difficile physiquement. L’inconnu réside dans le rapport à son corps, dans la façon dont le corps est investi, habité. Pour faire exister cet inconnu il faudrait parvenir chaque fois à vider son corps de toute mémoire, de tout savoir-faire. C’est un travail complexe, éprouvant, mais indispensable. Je demande aux danseurs de retrouver cette innocence-là : apprendre à effacer, à faire du vide en eux, à ne plus savoir.
 
Votre univers chorégraphique est très personnel, trouvez-vous des influences chez d’autres artistes ?
 
Non, parce que je pense justement que l'univers d'un artiste doit être très personnel, très singulier, il doit puiser au fin fond de son être, de sa mémoire, de son intuition. Il y a beaucoup de choses que je peux aimer, y compris dans les autres arts, que je peux comprendre, qui peuvent me toucher, mais je m'interdis l’influence, j’essaie d'être hermétique à cela, jusqu'à un certain point évidemment. En revanche, ce qui a clairement déterminé de nombreux aspects de mon travail ce sont mes études en lettres modernes, poésie et cinéma. On y apprend à structurer un texte, à travailler des images, un champ lexical, une chute. J’ai travaillé cela, et je sais que mon écriture vient de là. Mais quand je me mets au travail, c'est un peu comme dans les films de science-fiction, je passe par un sas de décontamination ! C'est vraiment ce sentiment-là que j'ai. Je suis à l'écoute d'une chose qui vient de loin en moi, de très loin. Cela n’a rien de courageux ou d'exceptionnel, c’est juste comme si je protégeais de toutes mes forces la source d’où proviennent ces mondes que je délivre sur les plateaux. Cette source est, je crois, ce qui fonde l'être dans sa mémoire la plus profonde et, être artiste, c'est peut-être faire le pari que ce qui vibre dans les profondeurs de son être peut également toucher et accompagner l'autre.

« Une œuvre acquiert sa grandeur du fait qu’il est impossible de la rattacher à la vision étriquée d’un individu. Elle doit fédérer et résonner le plus loin possible de son épicentre. »

Vos interprètes n’influencent pas vos créations ?

On ne peut pas en même temps être à l’écoute de l’être profond et des autres, et j'accepte le fait qu'un jour, peut-être, je n'aurai plus rien à exprimer, à extraire de moi même. Ce n’est pas de la collaboration au sens où on l’entend habituellement. Toute intervention extérieure viendrait dénaturer cette matière première, car elle provient d’un gisement unique, personnel, intime. J’invite donc les personnes avec qui je travaille à entendre cela en premier lieu, et à s’approprier cette vision ; c’est un grand art que celui d’interpréter, de s’approprier et de traduire un univers qui n’est pas le sien. Nous sommes donc tous soumis à la même contrainte : embrasser et servir une même vision. Ce qui a l’avantage inestimable de détourner chacun de ses propres préoccupations et de créer par là même du commun. Une œuvre acquiert sa grandeur du fait qu’il est impossible de la rattacher à la vision étriquée d’un individu. Elle doit fédérer et résonner le plus loin possible de son épicentre.

Propos recueillis par Tony Abdo-Hanna le 18 avril 2022.