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Magazine

15 novembre 2022
À lireEntretiens2022-2023

Faire corps avec l’Histoire

Entretien avec Dieudonné Niangouna autour de Portrait Désir

Le point de départ de ce spectacle est l’idée d’un hommage à votre grand-mère.

Le projet était d'écrire un spectacle pour parler de l'art de conteuse de ma grand-mère. Pour moi parler de son art, ce n’est pas simplement raconter sa vie, ou décrire ce qu'elle disait, mais raconter une histoire avec la forme même de sa poésie, de son art de conteuse. Une histoire qui sera très proche de sa façon de construire  et de raconter ses propres histoires, qui relèvera de la même dynamique. De telle manière qu’elle y soit elle-même incluse, notamment au début et à la fin. Ce qui est très présent aussi et qui lui appartient, c’est que l’on suivra des récits très différentes qui se croisent, comme dans ses contes, dans lesquels sa propre expérience entrait en jeu. C’était une sorte de patchwork qui prenait une forme de cohérence, où l’on pouvait retrouver d'où elle partait pour parler, et comment à partir de là se déployait une fiction, qui enchaînait sur une autre fiction plus ou moins en rapport, et ainsi de suite avant de retomber sur l’idée originelle qui l’avait amenée à brosser ce conte. Cela pouvait s’inspirer de la situation du moment ou du témoignage d’un fait récent. Il s’agissait pour moi de construire le spectacle par ce prisme. 

Est-ce que le titre Portrait désir fait référence à quelque chose de précis ?

C'est plutôt une formule poétique que j'ai trouvée. Mon but n’était pas de réaliser un portrait classique de ma grand-mère mais il y a le désir d’évoquer sa figure, c’est ce que je fais dans le prologue du spectacle. Ce titre renvoie surtout au personnage de Sylabelle, qui cherche à créer une sorte de portfolio, en peignant des êtres qui l’ont marquée. Elle y travaille depuis très longtemps, en quête d’un équilibre intérieur, et elle parle beaucoup de portraits et de désir dans son texte. Sylabelle va finir par produire une grande fresque qui sera un mélange de tous les personnages féminins, certains ayant vécu, d'autres étant de pures fictions ou mythologiques. Ce sont justement ces personnages que l’on va voir sur scène et dont on va suivre les histoires, bien avant qu'elle ne les peigne. Et ils se retrouvent tous régulièrement dans un club à Paris : le Sanza Blues !

« Cet espace poétique où apparaissent les personnages n'est pas un univers pour célébrer une fantasmagorie, cela oscille entre lieu et non-lieu d’une sorte de vie entre parenthèses. Cela parle de l'incertitude des choses. »

Vous instaurez un univers où les vivants et les non-vivants se côtoient et dialoguent.

C’est encore une caractéristique des contes de ma grand-mère où l’on trouvait ce genre de personnages, chargés par toutes sortes de tragédies dont ils pouvaient mourir, tout en continuant à aller plus loin, à être présents, là, dans la vie. Ces personnages parlent de leur mort mais ce ne sont pas des fantômes, ni des revenants, ni des zombies. Il s'agit d'un autre espace qui n'est pas l'espace des morts vivants, ni celui des vivants vivants, ou des morts morts ! C’est un quatrième espace, ils sont là réellement, ils boivent, ils mangent, ils n'habitent pas dans des tombeaux, ils ne font pas de la magie, ce ne sont pas des sorciers, juste des gens qui étaient morts et qui vivent réellement. Cet espace poétique où apparaissent ces personnages n'est pas un univers pour célébrer une fantasmagorie, cela oscille entre lieu et non-lieu d’une sorte de vie entre parenthèses. Cela parle de l'incertitude des choses. Ma grand-mère adorait interroger le réel en le déplaçant d'un petit iota, de sorte que la question de la vérité ne soit pas celle de la réalité ou la réalité pas forcément celle du réalisme.

Deux personnages masculins, Shidonni et Issan, semblent très proches de vous… 

Shidonni, que je joue, raconte l'histoire de ma grand-mère dans le prologue. C'est comme cela que ma grand-mère et mes grandes tantes m’appelaient parce qu'elles n'arrivaient pas à dire Dieudonné, et que Dieudonné en Kongo se dit Shidonni. Ce personnage est donc lié à la partie documentaire et autofictionnelle de la pièce, mais il glisse dans l'espace de la fiction et intervient notamment dans le club Sanza Blues. Issan, lui, est un personnage entièrement fictionnel, porteur d'une grande traversée de l'exil et de l’émigration, aimant se figurer en Ulysse contemporain qui ne rentre pas à Ithaque. D’ailleurs, pour moi, chez Homère, Ulysse ne rentre jamais à Ithaque, son retour n'est qu'une métaphore ! On ne peut pas faire le voyage d'Ulysse avec toutes ses transformations, les secrets des dieux qu'il va connaître, et retourner à Ithaque ! Et là où Issan a une relation étroite avec le personnage de Shidonni, c'est qu’il aime beaucoup écouter les histoires dont celles que Shidonni racontait au Sanza Blues au sujet de sa grand-mère. C'est pour cela que l’on retrouve beaucoup de la philosophie de la grand-mère dans la bouche d’Issan. 

Plusieurs épisodes du spectacle évoquent la colonisation et la traite des esclaves au Portugal ou aux États-Unis : est-ce un désir de pédagogie ou un devoir de mémoire qu’il vous semble important d’entretenir ?

Pour moi, ce n'est pas tant lié à une dimension militante mais, pour rester dans l'espace poétique, je dirais qu’il s’agit de faire corps avec l’Histoire. Ma grand-mère est née avant le début de la colonisation, vers 1900 et quelques, et passe toute son enfance et toute sa jeunesse, jusqu'à ce qu’elle se marie, pendant la période coloniale. Quand la colonisation prend fin ma grand-mère est déjà vieille. Je ne peux évidemment pas parler de ma grand-mère sans parler des histoires qui ont trait à la colonisation car toute sa vie s’est forgée pendant la colonisation. Elle n’a pas vécu comme une femme libre de ses droits. Puisque je parle d'elle, il faut forcément contextualiser le temps dans lequel a jailli sa parole et souligner ce qui n'a pas été anodin dans ses réactions, sa manière de conter, pourquoi elle avait une parole aussi incisive tout en étant métaphorique, et pourquoi elle était très attachée à des notions comme la liberté, à des maximes comme « sois plus intelligent que la situation », à des notions de résistance dans la pensée, dans les actes. C'est aussi un espace d'engagement pour moi. J'ai choisi d'évoquer des épisodes de la pénétration occidentale qui précèdent la période de colonisation que ma grand-mère a connue. Dans ses contes, qui sont des contes initiatiques liés à la cosmogonie Kongo, elle retraçait aussi l'épopée de l'Histoire Kongo. Elle voulait nous faire entendre à la fois la pensée Kongo à travers la mythologie et des histoires réelles qui sont celles des luttes des peuples Kongo au temps des pénétrations portugaises et de la traite négrière. C’est exactement le principe et le propos de mon texte.

Propos recueillis par Tony Abdo-Hanna en avril 2022.