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Magazine

21 février 2022
À lireEntretiens2021-2022

L'incroyable puissance du dessin

Entretien avec François Orsoni autour du Petit garde rouge

En quoi ce projet fait-il suite aux Contes chinois, votre première collaboration avec Chen Jiang Hong, présentée à la MC93 en 2018 ?

Le large succès public du spectacle Contes chinois nous a donné envie de continuer à explorer la relation entre le dessin, le récit et la musique. Je ne voulais pas pour autant rééditer une formule qui avait bien fonctionné. J’ai jeté mon dévolu sur Mao et moi, qui est à part dans les livres de Chen : c’est un album autobiographique et documentaire sur son enfance en Chine pendant la révolution culturelle. C’est plus dense, moins métaphorique et moins onirique que ses contes. Le dessin, l’art, grâce auxquels Chen a pu fuir la Chine et l’exil, le rapport à l’identité sont toujours au cœur de son travail. Mais cette fois, de manière directe. Ce récit est très dur sur le fond mais ce n’est pas manifeste dans l’album qu’il en a fait car Chen a toujours conscience du regard de l’enfant auquel il s’adresse.

 

Comment partager cette histoire avec un jeune public ?

C’est un récit à hauteur d’enfant : dans une famille de classe moyenne, un petit garçon voit son cocon et son confort brusquement percutés par le choc exogène de la révolution et se recrée un monde qui reste tout à fait vivant, ludique et positif malgré les traumatismes.

Dans le livre album, tout a un sens dans le moindre détail, les objets qu’il dessine, les odeurs, les sensations qu’il transmet. C’est donc un voyage sensoriel imagé et auditif autour de la vie de cet enfant que l’on découvre sur scène. On le retrouve cinquante ans plus tard en train de dessiner et de revivre cette expérience d’enfant. Cette présence sur le plateau de théâtre de la personne dont on raconte l’histoire est assez rare.

Chen a un rapport étonnamment fort avec les enfants, dont il capte l’attention par la force de son dessin. Mais ce n’est pas que performatif. D’une certaine façon il communie avec eux. Le choc de la révolution culturelle lui a volé son enfance et l’a forcé à devenir adulte très vite. Je crois que cette relation qu’il a avec les enfants est une manière pour lui de revenir à ce moment perdu.

"Il s’agit aussi de retrouver, dans un immense espace, l’intimité de ce qui se passe à la lecture d’un livre à un enfant, en tournant les pages et en égrenant mots et images."

 

Inspiré de l’album, le spectacle est-il une restitution ou une réinterprétation ?

Les deux. Nous allons mixer les illustrations de l’album et du dessin en direct. Et y ajouter des images réelles de cette époque. Le travail ressemble à un montage de film. On dispose du texte, dont on ne va pas forcément tout garder, et de récits de Chen qu’on peut rajouter. On a aussi plusieurs dispositifs vidéo, une bruiteuse cinéma qui va faire un arrangement sonore des situations et Chen qui va dessiner. L’idée est de fabriquer une illusion en direct, dont le résultat est cette image dont les enfants sont coutumiers ; ce qui est exceptionnel, c’est qu’ils voient la fabrication de cette image.

Le dessin en direct a une puissance incroyable. Chen a une rapidité d’exécution extraordinaire. Il a une capacité à dessiner fascinante et navigue entre l’abstraction et le concret : il crée des formes indéchiffrables pendant un temps et soudain par un détail, tout s’éclaire dans le récit. Tout le défi du spectacle est de créer de l’intensité par ces micro-évènements dessinés. Il s’agit aussi de retrouver, dans un immense espace, l’intimité de ce qui se passe à la lecture d’un livre à un enfant, en tournant les pages et en égrenant mots et images. Cela nous renvoie à la fascination des êtres humains pour les histoires. On l’oublie un peu mais c’est très mystérieux.

 

L’arrière-plan historique est-il nécessaire à la compréhension du récit ?

J’ai toujours questionné la dimension politique dans mon travail de metteur en scène, et Chen est radicalement opposé à ce qui se passe en Chine depuis quarante ans. Mais je crois assez dangereux d’attaquer un spectacle pour enfants par cet angle car c’est un bourbier d’où il est difficile de sortir. Chen lui-même a insisté pour que nous racontions cette histoire du point de vue de l’enfant qui traverse ces événements, depuis des détails quotidiens jusqu’à la disparition des êtres chers.

Les jeunes spectateurs vont recevoir cette histoire, sans peut-être en comprendre l’arrière-plan historique mais ils auront l’intégralité de leur vie pour ce faire. C’est le cas de beaucoup de récits. Prenez La Chèvre de monsieur Seguin ou Pinocchio : on voit très bien les images en étant enfant mais les interprétations viennent plus tard.  Si les enfants sont marqués par le spectacle, leur imaginaire pourra déployer une pensée. Mais on ne peut pas être didactique dans le temps du spectacle. Ce serait ennuyeux. Il faut que ça reste ludique.

En revanche, le spectacle porte des thèmes, liés à la vie de Chen, immédiatement compréhensibles par les enfants :  l’émancipation par l’art – c’est par le dessin qu’il est entré aux Beaux-Arts de Pékin et qu’il a été repéré par un attaché culturel français qui a tout fait pour lui faire quitter la Chine ; et puis le rapport à l’immigration, à l’exil : que signifie abandonner son pays, sa famille et se retrouver seul loin de ses repères et de ses attaches ? On ne part pas quand tout se passe bien chez soi.

"Les spectacles adressés au jeune public obligent à garder une forme d’espoir. Cela me plaît de faire en sorte que les gens soient chargés de bonnes ondes à la fin de la représentation."

 

Qu’est-ce que ces deux expériences de spectacle jeune public ont apporté à votre travail de metteur en scène ?

Ce qui est excitant avec les spectacles pour enfants, comme avec la comédie, c’est qu’il faut que ça marche tout de suite. On ne peut avoir de baisse d’énergie, il faut les capter et les tenir sinon c’est la foire ! Notre force réside dans le dessin de Chen et le fait qu’il raconte sa propre histoire. Le récit est fait de mots simples qui rendent l’histoire accessible à tous les âges. Cela m’a permis de retrouver une forme de « simplicité barbare », pour citer Baudelaire. Les enfants ont un rapport au spectacle ultra intuitif, une grande liberté, une absence de codes. Tout cela nettoie beaucoup des habitudes d’un théâtre public souvent très référencé et intellectuel.

Par ailleurs, ces histoires très cruelles ont malgré tout une énergie et une fin positive, tournée vers le futur. Les spectacles adressés au jeune public obligent à garder une forme d’espoir. Cela me plaît de faire en sorte que les gens soient chargés de bonnes ondes à la fin de la représentation. Loin des tendances un peu masochistes ou noires que peuvent avoir le théâtre et la littérature.

L’exercice de mise en scène est aussi particulier ici puisqu’il s’agit d’un spectacle sur un créateur qui est présent. Donc ma place de metteur en scène consiste à être un liant entre les différents postes. Je suis moins central que quand je monte un texte d’un auteur absent et que je questionne les raisons conscientes et inconscientes qui m’amènent à mettre en scène telle ou telle pièce. Ce spectacle est inséparable de la relation très amicale que j’ai avec cet artiste, depuis des années.

Propos recueillis par Olivia Burton en avril 2021
Crédit photos : © Alte Studio