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Magazine

9 janvier 2020
À lireEntretiens2019-2020

La famille source d'angoisse

Entretien avec Jean-Christophe Meurisse

Quels aspects de la structure familiale vous ont inspiré pour ce spectacle ? Quel est votre ressenti sur la famille ?

La famille a constitué un bon point de départ dans la mesure où moi je n’y crois pas du tout ! C’est quelque chose qui, dans mon histoire, a été un désastre, l’endroit d’un profond anéantissement. Donc, comme je n’y crois pas, toutes les situations qui ressemblent à des situations familiales m’angoissent énormément. Cela me préoccupe, cela me fait rire : cela me met en plein terrain affectif. Paradoxalement, j’ai moi même co-fondé une famille puisque j’ai trois enfants. Et cela me bouleverse. Par conséquent mon ressenti par rapport à cette « société » est tellement contradictoire, étendu, que pour moi c’est un matériau, un terrain de départ idéal. Je sais que je vais être tiraillé. Je ne fais pas un spectacle pour dire : la famille c’est nul ! Je ne fais pas un spectacle pour dire non plus que la famille c’est formidable. Elle est tout de même étrange cette société, et je parle de la société nucléaire : les enfants et les parents, donc essentiellement des rapports filiaux. C’est un miroir pour tous et cela m’interroge, parce que comme c’est notre point de départ à tous dans la vie, c’est à partir de cela que l’on reproduit énormément de choses.

Comme c’est notre point de départ à tous dans la vie, c’est à partir de cela que l’on reproduit énormément de choses.


Vous parlez d’anéantissement concernant votre passé familial.

Oui, parce que tout à coup, pour plein de raisons personnelles, tout ce qui est cellule familiale a disparu, a explosé ou a implosé. Je ne parle pas de décès, ce sont des multiplications de séparations, des fâcheries, etc. Et quand on est un enfant ou un adolescent c’est étonnant de voir une structure affective qui se démolit. On est vite mis dans la réalité. Et c’est cela le point de départ : voilà une structure affective que l’on doit accepter ou quitter.

"Moi je veux raconter des choses tristes avec le rire".


Quels thèmes seront abordés ?

À ce stade du travail, où nous avons juste traversé une courte résidence, je pourrais nommer quelques têtes de chapitres, des sortes de sous-titres : la famille, une histoire de violence ; la famille, une histoire de répétition et de névrose ; la famille, une histoire d’absence… Avec notre manière de travailler nous allons essayer de renverser la table d’une certaine manière. Nous interroger sur ce que c’est que l’amour familial, ce que sont les rapports filiaux, ce que c’est que l’éducation et puis y mettre un peu de psychanalyse, comprendre ce qu’est le complexe d’Œdipe, le mythe de Médée. Sans trop noircir le tableau parce que ce qui est délicat avec le rire, c’est qu’une fois que l’on approche trop de la tragédie, on ne peut plus revenir en arrière. Or le rire est fondamental pour moi - même si je sais : j’ai l’air très sérieux ! Je le dis souvent : le rire est une arme. Il y a des gens qui racontent des choses tristes avec tristesse, moi je veux raconter des choses tristes avec le rire. Comme disait Beckett : « en face, le pire, jusqu’à ce qu’il fasse rire ».

Pouvez-vous nous décrire votre méthode de création ?

Dans ma manière de travailler qui est ce que j’appelle une écriture de plateau, je n’arrive pas avec un texte préalablement écrit sur du papier, je ne monte pas un texte, je construis un spectacle. C’est pour cela que nous organisons de longues répétitions, parce qu’il faut écrire ce qui au départ est une envie, un désir, voire une nécessité et de plus le mettre en scène. Je le fais avec les acteurs. C’est à dire que je fais confiance à leurs natures et aux dialogues qui s’inventent. Je revisite ainsi l’écriture de plateau, cette manière de travailler qui n’a rien d’original et même qui est originelle au théâtre. Cela demande au départ une vraie nécessité à monter quelque chose, à vouloir parler de quelque chose. Sur le dernier spectacle Jusque dans vos bras, qui est passé à la MC93, j’ai parlé de l’identité nationale parce qu’après les attentats de Charlie Hebdo, j’ai eu vraiment un profond malaise sur ce que cela pouvait vouloir dire d’être français. C’est comme quand on part sur une écriture de roman, on doit être véhiculé, traversé par quelque chose qui nous tient.

"J’écris plein de situations, une cinquantaine, et puis les acteurs les expérimentent. Comme des jeux de rôles."
 

Comment se déroule généralement la phase d’improvisation des acteurs. Y a-t-il des moments cathartiques ? Violents ? Drôles ? Tendus ? Comment tranchez-vous ?

J’écris plein de situations, une cinquantaine, et puis les acteurs les expérimentent. Comme des jeux de rôles. Et à partir de là je vois ce qui m’intéresse, je garde, j’enlève, je monte, un peu comme au cinéma. Mais je travaille sur l’émotion. Quand je regarde ces improvisations j’ai besoin d’abord d’être très ému, j’ai besoin de rire, de pleurer, d’avoir peur, de désirer, de bander. Toutes les émotions. Et la catharsis est un mot juste parce qu’avant tout c’est organique, c’est une expression. Après, évidemment, on réfléchit à ce qui s’est passé sur le plateau et arrive la dramaturgie. Mais c’est d’abord la pulsion, d’abord l’affect, d’abord l’organisme qui s’expriment et après la pensée. Je trouve que le théâtre souffre trop de « logos » quelquefois. Pourquoi a été fondé le théâtre chez les grecs ? C’est dans un but de catharsis. Aujourd’hui il s’est embourgeoisé parce que la littérature l’a traversé et pour un certain nombre de raisons sociales mais à l’origine, chez les grecs, au moyen-âge, le théâtre était trivial, exutoire, vulgaire même, dans le sens de proche du peuple. Le but était que le peuple exprime le rire, la fureur, le désarroi. Et je crois à cette fonction là du théâtre. Donc je me remets dans cette position là quand je regarde ce qui se fabrique. J’ai besoin d’être dans une surprise permanente et dans une émotion permanente et après je réfléchis.

"C’est d’abord la pulsion, d’abord l’affect, d’abord l’organisme qui s’expriment et après la pensée".


Le collectif des Chiens de Navarre n’est-il pas en quelque sorte une famille reconstituée ?

Nous ne sommes pas vraiment un collectif. J’ai laissé utiliser ce mot là parce que nous avons une manière collective de travailler mais je dirais que nous sommes plutôt une troupe : c’est à dire un metteur en scène et fondateur - moi  - qui travaille avec plus ou moins les mêmes personnes. Mais cela n’est pas un collectif dans le sens où nous ne nous sommes pas rassemblés dans un café en disant : montons un groupe. À un certain moment j’ai agi comme un metteur en scène classique, j’ai appelé des personnes et transmis ma proposition : je vais monter une compagnie, j’ai envie d’un esprit, d’une manière de travailler, est-ce que vous voulez me rejoindre ? Nous avons alors démarré et une forme de fidélité s’est instaurée. C’est ce qu’on appelle une troupe. Je dis cela par souci de justesse. Après j’ai accepté l’usage du mot « collectif » parce que je trouve politiquement intéressant d’être plutôt dans la catégorie collective, celle d’écriture de plateau, plutôt que dans la toute puissance du metteur en scène - auteur qui m’ennuie profondément.

"J’aime bien qu’il y ait des gens qui rentrent, qui sortent, qui reviennent et en même temps qu’il y ait aussi une forme de fidélité." 
 

Les acteurs avec lesquels je travaille écrivent, dans le sens où ils proposent leurs dialogues, ils ont leurs opinions sur la mise en scène et sur la scénographie. Mais l’impulsion du projet n’est pas collective. De plus, le mot collectif est de plus en plus faux parce que depuis dix ans, il y a eu énormément de mouvement dans la troupe, ceux qui ont fait le groupe au départ ne sont plus là, ils font du cinéma ou travaillent avec d’autres metteurs en scène. J’aime bien qu’il y ait des gens qui rentrent, qui sortent, qui reviennent et en même temps qu’il y ait aussi une forme de fidélité. Quelques fois il y a des anciens qui reviennent travailler et c’est formidable. C’est bien qu’il y ait des portes ouvertes. Parce que justement, se retrouver dans des rapports presque familiaux, un peu névrotiques ou des rapports fusionnels ou des rapports de compromis, cela ne m’intéresse pas du tout.

"C’est un théâtre miroir, un théâtre de gens d’aujourd’hui qui parlent de gens d’aujourd’hui avec les mots d’aujourd’hui."


Pensez-vous à un public particulier lors de la création ? Notamment par rapport au choix du langage.

Non, je ne pense pas au public. Nous avons de la chance, nous avons plusieurs générations  qui viennent nous voir, des « anciens », des gens de mon âge, des jeunes parce que je crois faire un théâtre plutôt accessible, il n’y a pas besoin de références pour comprendre ce qui s’y passe. C’est un théâtre miroir, un théâtre de gens d’aujourd’hui qui parlent de gens d’aujourd’hui avec les mots d’aujourd’hui. C’est peut-être pour cela que nous récoltons une forme de popularité. Chacun peut s’accrocher aux personnalités qui jouent, aux thématiques choisies et aux mots employés. Nous gardons cependant une grande exigence sur ce que nous racontons et sur la forme créée. Comme disait Vitez : « un théâtre élitiste pour tous ! ».

Tout est possible sur scène ? Vous est-il arrivé de censurer un acteur ? Ou que lui-même refuse de faire quelque chose ? N’êtes-vous pas amenés à toujours aller plus loin ?

Notre limite c’est notre propre plaisir. Si on ne se fait pas plaisir on ne fait pas. Je ne force jamais les acteurs, puisque mon travail est basé sur ce qu’ils sont, sur ce qu’ils vont faire. Le labeur est bien là mais il doit toujours y avoir une forme de plaisir. Pour moi la plus grande direction d’acteur c’est avant tout l’observation. L’observation aiguë de la personne qui est en face. L’objectif est de faire rire les gens et nous faire rire nous, en essayant de ne blesser personne.

"Provoquer pour provoquer, je trouve cela trop manipulateur ou trop froid. Il y a chez nous quelque chose de plus inconscient, de plus dingue."


Vous n’avez pas pour objectif de provoquer, de choquer ?

Non. Notre liberté peut être provocatrice, notre manière d’être, un peu joueurs. On se met nus, il y a un côté « trash » comme disent certains, on va loin, oui, on va loin dans les règles du jeu, on va loin dans les rapports humains, on provoque mais dans le sens théâtral : provoquer quelque chose, provoquer l’émotion. Mais provoquer pour provoquer, je trouve cela trop manipulateur ou trop froid. Il y a chez nous quelque chose de plus inconscient, de plus dingue.

Comment vous situez-vous par rapport à la question de la constitution d’un répertoire ? La reproductibilité des pièces, la trace ?

Je n’en pense pas grand chose, je ne suis pas édité, je refuse toute édition. Beaucoup de gens m’appellent pour pouvoir reprendre mes pièces mais je dis que cela n’est pas écrit, cela ne sera jamais écrit de mon vivant. Pour moi le théâtre c’est l’art de l’éphémère. Peut-être qu’un jour je céderai à cela, j’écrirai, mais pour l’instant cela ne m’intéresse pas. Je préfère que cela reste un événement. Il y a des captations bien sûr et je trouverai cela plus intéressant de sortir des dvds qu’un écrit. Pour voir que cela a existé, avec les réactions du public.

Vous avez opté, en vue de ce nouveau spectacle, pour un dispositif scénique bi frontal, pourquoi ?

Cela fait longtemps que je veux essayer le bi-frontal. J’aime bien que l’on soit dans un rapport très proche aux acteurs, au plateau, que les gens se voient. Et je trouve que pour la famille c’est très bien : il faut être pris dans la cocotte ! Et puis le bi-frontal, c’est le hors champ possible : derrière, sur les côtés. Je trouve que cela se prête bien à la thématique, d’être au milieu, d’être à l’intérieur, que les gens se voient : pousser le miroir en quelque sorte.

Propos recueillis par Tony Abdo-Hanna à Paris le 14 mars 2019.