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Magazine

18 novembre 2019
À lireEntretiens2019-2020

La grande histoire dans les petites

Entretien avec Séverine Chavrier

Cette construction quasiment impressionniste permet de diffracter la grande histoire dans les petites, celles des drames humains visibles ou dissimulés.


Le diptyque Après coups a t-il été conçu dès l'origine comme un projet en deux volets ?

L'origine du projet c'est une rencontre avec une artiste qui, en me racontant son parcours m'a donné envie de construire un spectacle. À travers le récit de Natacha Kouznetsova, j'ai perçu non seulement la force qu'il lui a fallu dans son combat personnel et artistique pour revendiquer sa liberté de femme mais aussi à quel point son histoire intime était impactée par que l'on appelle la grande histoire, avec un grand « H », les deux étant extrêmement liées. En racontant, par éclats, cette histoire de vie et de travail, on pouvait aborder des sujets qui s'inscrivent, parfois violemment, dans le monde qui nous entoure. J'ai donc conçu un premier projet avec cette danseuse russe et avec une circassienne argentine avant d'imaginer un second volet, avec deux circassiennes (cambodgienne et danoise) et une danseuse palestinienne. À chaque fois ce sont vraiment les récits de vie, comme des journaux intimes, qui ont servi de canevas pour la construction des spectacles. Peut être que la lecture de Svetlana Alexïevitch m’a permis d’oser enregistrer les performeuses. La romancière russe fait de la fiction à partir d'histoires vécues, dressant un tableau de la société stalinienne par petites touches en racontant des vies « ordinaires » aux prises avec toutes les difficultés quotidiennes. Cette construction quasiment impressionniste permet de diffracter la grande histoire dans les petites, celles des drames humains visibles ou dissimulés.

Vous avez rencontré ces artistes à l’École du cirque de Châlons-sur-Marne ?

Oui, sauf pour Natacha. J'ai travaillé dans cette école cinq années durant. Ce sont des artistes mais aussi des athlètes capables de véritables prouesses physiques impressionnantes. Sur le plateau elles ne s'économisent jamais. Elles vont au bout de leur engagement et témoignent d'une très grande solidarité entre elles.

C'est la pratique artistique qui leur a permis de prendre en charge leur propre vie, leurs propres désirs, de s'affirmer en sortant des contraintes imposées pour beaucoup par l'histoire tragique de leur pays d'origine.
 

Ces récits ont constitué la base du travail de répétitions ?

Oui mais je n'avais aucune idée préconçue aux débuts de notre travail qui s'est construit en réelle collaboration avec les artistes. Il fallait trouver comment mettre en jeu ces histoires individuelles pour constituer ces portraits de femmes en tant qu'artistes puisque c'est la pratique artistique qui leur a permis de prendre en charge leur propre vie, leurs propres désirs, de s'affirmer en sortant des contraintes imposées pour beaucoup par l'histoire tragique de leur pays d'origine, Argentine, Russie, Palestine, Cambodge. En réalisant les deux premiers solos, nous avons travaillé un montage parallèle de deux vies dans deux pays que l'on aurait pu croire terriblement éloignés, l'Argentine et la Russie, et qui se rejoignaient dans ce monde de la « coca-colonisation » qui n'épargne plus beaucoup de pays avec le triomphe du capitalisme financier international.

La musique est très présente dans ce travail. Pourquoi ?

Parce que cela fait partie de ma façon habituelle de travailler au théâtre. Je suis musicienne de formation et je construis toujours des partitions sonores, musique et voix, qui structurent mes spectacles. Ici encore plus que jamais puisqu’il a fallu monter très minutieusement ces voix off qui rythment le spectacle, et accompagner la performance physique au plus près. J’ai utilisé des musiques singulières propres à leur pays d’origine, des sortes de ritournelles qui surviennent par moments, et sont souvent effacées, recouvertes, annihilées par une musique électronique binaire et anonyme.

L'image de la femme que nous donnons est celle d'une femme en talons haut mais avec des gants de boxe, une femme qui ne cesse de chuter et de se relever.


Quels sont les « coups » contenus dans le titre de votre spectacle ?

Ce sont les coups reçus physiquement mais aussi les coups moraux et psychologiques qui peuvent traverser la vie des femmes. Ce sont les coups reçus mais aussi les coups donnés pour se défendre. L'image de la femme que nous donnons est celle d'une femme en talons hauts mais avec des gants de boxe, une femme qui ne cesse de chuter et de se relever. Nous utilisons donc le mot dans sa littéralité en laissant au spectateur la possibilité de l'interpréter à son choix. L'un des deux volets a été conçu en 2014 alors que la recrudescence des attentats de toute sorte créait un climat de violence qui nous environnait.

Vous avez donc construit ce spectacle avant que le mouvement « me too » se révèle…

Ce spectacle n'est pas un spectacle sur le genre. Il s'agit ici de femmes artistes et de leur combat pour exister en tant que telles. Ici l'histoire est racontée par des femmes et leur discours est bien sûr différent de celui que des hommes pourraient faire. Si l'on prend l'exemple des guerres les femmes sont souvent doublement victimes, une fois comme ennemies au même titre que les hommes mais aussi comme femmes à qui l'on réserve un traitement particulier, comme les viols à répétition ou la mise en esclavage.

C'est un combat artistique que nous menons conçu comme un voyage à la fois musical, visuel et chorégraphique fait de fragments, d'instants, de récits gestuels et textuels, entre poétique et politique.


Ces femmes appartiennent à votre génération ?

Certaines oui, d'autres sont plus jeunes. Entre survie et apprentissage, entre destruction et reconstruction, nous dressons, à l'image de la fameuse « carte du Tendre » qui, au XVIIème siècle régissait les rapports amoureux femmes-hommes, une « carte du violent », celui qui aujourd'hui nous oblige à la réaction, au combat. C'est un combat artistique que nous menons, conçu comme un voyage à la fois musical, visuel et chorégraphique fait de fragments, d'instants, de récits gestuels et textuels, entre poétique et politique. Le plateau, ring autant que terrain vague, devient le lieu d'une parole trop souvent intériorisée, cachée, non formulée par les femmes. Le lieu où les voix et les corps peuvent se faire entendre et voir avec force.

Propos recueillis par Jean-François Perrier en mars 2019.