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Magazine

4 janvier 2023
À lireEntretiens2022-2023

La mort est le début d’autre chose

Entretien avec Phia Ménard et Emmanuel Olivier autour des Enfants terribles

Phia, qu’êtes-vous : jongleuse, chorégraphe ou metteuse en scène ?

Phia Ménard : C’est le type d’interprètes, le type d’œuvres qui définit mon action sur scène. J’ai abandonné la jonglerie de mes débuts où les minimalistes américains ont été une base importante. Ma formation chorégraphique m’a régulièrement fait croiser ces musiques qui laissent beaucoup de place à la chorégraphie. Et Glass est devenu une telle référence en ce domaine… 

Êtes-vous familière de l'écriture de Philip Glass ? 

PM : Pas de cet opéra. Mais, au contraire d'autres opéras que l'on m'avait proposés et pour lesquels j'avais toujours botté en touche, principalement à cause de leur livret ; l'actualité des mots de Cocteau m'a tout de suite intéressée. Mais j'ai mis très longtemps avant de comprendre l'intrigue des Enfants terribles. C'est le livret que l'on a à mettre en scène, pas la musique. Le défi des Enfants terribles, chanté de surcroît en français, est que l'on comprenne l'histoire racontée. C'est LA difficulté de la pièce. Musique et chant sont si compliqués qu'ils impulsent ma façon de faire travailler les chanteurs. La musique emporte tellement… au risque d'escamoter des détails capitaux à mettre en place. Pour la compréhension, il m'a fallu parfois rééquilibrer. Pour ce faire, je suis repartie à la source : le roman de Cocteau. 

On aurait pu penser que c'était l'appellation « dance opera » qui vous avait décidée à accepter de vous lancer dans l'aventure des Enfants terribles. Or, plutôt que la danse, vous mettez en scène le mouvement… et donc également la musique ? 

PM : La création était courte, et embarquer les chanteurs dans une aventure dansée aurait exigé plus de temps. Je n'allais pas non plus faire danser les personnes âgées que j'avais décidé de mettre en scène, mais plutôt les inscrire dans un monde qui tourbillonne autour d'elles. C'est donc la scénographie qui assure la chorégraphie. Et avec cette musique, ça donne un effet incroyable ! 

Qui sont les Enfants terribles du titre ? Elisabeth et Paul ? Dargelos et Paul ?

Emmanuel Olivier : Je crois qu’ils sont tous terribles. Même dans le roman, les parents le sont. Dès la génération d’avant, même dans la famille d’Agathe, c’est, si je puis dire, un sacré bazar !

PM : Il y a beaucoup de fantômes. Elisabeth remplace la mère. Les enfants terribles ne peuvent donc pas être que des enfants. Dans le film de Melville, Edouard Dermit qui joue Paul est déjà un homme. C’est la raison pour laquelle j’ai préféré privilégier des chanteurs plus âgés car l’évidence naissait que cette histoire n’était pas une histoire d’âge.

À des héros jeunes vous préférez des héros âgés qui se souviennent. N’avez-vous pas craint de rajouter au mille-feuille sentimental des Enfants terribles une couche supplémentaire ?

PM : Le langage un brin désuet utilisé par les personnages de Cocteau m’a incitée à rajouter une couche temporelle en installant les protagonistes dans un EHPAD. Combien on voit de personnes à la retraite reprendre, comme des enfants, le chemin de l’école… Ce huis-clos qui se reforme, ce peut être ce moment où le temps permet la remontée à la surface des souvenirs…

EO : Cette idée de Phia est aussi une façon d’éclairer une intrigue complexe. De créer l’identification chez le spectateur. On pense aussi à l’âge qu’a Glass aujourd’hui, lui qui a vu tant d’époques et de styles se succéder... La langue de Cocteau dans la bouche de personnes âgées, ça met en perspective tous les panels d’écriture de la musique de Glass : les avant-gardes, la musique indienne, le rock... La scène 9, c’est carrément du vieux rock ! 

Vous prenez des libertés, notamment en ce qui concerne le Narrateur…

PM : Dans l’opéra, c’est Gérard le narrateur. C’est très compliqué car il est partie prenante des affects. Lorsqu’on lit le roman, ce n’est pas Gérard qui nous parle : c’est Cocteau. Dans le film, la voix off, c’est Cocteau. Dans notre spectacle, nous imaginons donc Cocteau en médecin, autant là pour raconter que pour rappeler leur histoire à ses patients. 

EO : Un texte a également été rajouté. Mais c’est un texte de Cocteau provenant d’une interview intitulée Cocteau s’adresse à l’an 2000. 

PM : Dans cette œuvre qui est typiquement une œuvre dont on voudrait qu’elle ne s’arrête jamais, une pause s’imposait et ce texte à l’adresse de la jeunesse est l’occasion d’une vraie pause musicale, accordée de surcroît à un important changement de décor. Il nous a fallu aussi passer de la première personne (Gérard) à la troisième (Cocteau). 

Dans la vie, bien souvent, A aime B qui aime C, etc... Est-ce le scénario des Enfants terribles?

EO : C’est l’amour de Paul pour Dargelos, puis pour la « réincarnation » de ce dernier en Agathe. C’est aussi l’amour d’Elisabeth, de Gérard et d’Agathe pour Paul.

Les Enfants terribles sont sous-titrés Children of the Game. À quoi jouent exactement les Enfants terribles ?

PM : Dans le film ce sont des codes entre eux, basés sur l’imagination. J’évoque leur relation à des substances dont on ne sait pas vraiment si elles ne sont que des médicaments. Ici le « jeu », c’est le virtuel. Peut-être que lorsque j’aurai 80 ans, le virtuel me permettra de vivre quelque chose d’incroyable.

EO : Ça existe déjà. Dans les EHPAD on trouve des casques de réalité virtuelle !

Votre création sera la troisième vue en France. Avez-vous vu la mise en scène de Paul Desveaux ? celle de Stéphane Vérité ?

PM : J’ai regardé en vidéo tout ce qui était accessible. Ma propre vision est née ensuite en toute liberté, toujours en lien avec la musique, celle-ci me permettant par exemple de finir comme je commence puisqu’elle se termine elle-même comme elle commence. 

EO : La boule de poison de la fin évoque clairement la boule de neige du début : deux « cadeaux » de Dargelos.

« Au moment où l’on est conscient que l’on est vivant, l’on est déjà dans la dépression de penser à notre mort. »

Est-ce vraiment une simple boule de neige qui contraint Paul à un confinement définitif ?

EO : C’est l’amour !

PM : Et la dépression.

Si la musique des Enfants terribles, puissamment lyrique, atteint directement au cœur, l’intrigue est d’une grande complexité. Affects, sauts temporels, non-dits... Si vous deviez brièvement la résumer en une phrase pour le néophyte ?

PM :  Pour m’acquitter de cette mission impossible, je dirais que Les Enfants terribles parle de la passion, de la dépression, de la dépression que provoque la passion. C’est aussi une métaphore plus large : au moment où l’on est conscient que l’on est vivant, l’on est déjà dans la dépression de penser à notre mort.

EO : Et ça, c’est très Cocteau : il était obsédé par l’idée de la mort.

Jean-Luc Lagarce dit aussi : « Vivre c’est apprendre à mourir. »

PM : C’est exactement ça ! Les enfants terribles, ce sont ceux qui en sont à voir dans la mort le début d’autre chose. La vie vaut-elle alors d’être vécue ? C’est une tornade.

Vous avez fait le choix d’un décor sophistiqué.

PM : Nous avons fait le pari d’un dispositif scénique en mouvement qui parvient à installer la scène la plus longue (n°17) et la plus chargée au plan de la dramaturgie sur une toile d’araignée. Depuis mes débuts, je travaille avec Eric Soyer, le créateur lumières de Joël Pommerat. C’est un très grand créateur, qui cherche avec moi. Et nous avons aussi des interprètes extraordinaires, prêts à proposer si nécessaire. Quand je commence la mise en scène, je sais déjà ce que je veux faire. Quant au jeu à proprement parler, je suis sans arrêt dans le va-et-vient pour amener chacun là où je veux aller. Je travaille avec ce qu’est le chanteur et sa manière de fonctionner. Repérer les endroits où le chanteur peine, comprendre sa mécanique, pour ensuite trouver le chemin ensemble, pour trouver la juste distance qui lui permettra d’incarner sans être dans la peur, le souci de se protéger: c’est comme corriger un corps lorsqu’on fait de l’ostéopathie. Je fais un travail de kiné.

EO:  Nous avons des chanteurs chaque jour plus précis. Ce qu’on leur demande est très difficile mais je pense que la difficulté crée de la motivation. 

PM : Ils ont bien davantage à faire que simplement chanter leurs arias. Et ils ont envie de cela. Ils ne sont pas dans la compétition et ils ont assez d’expérience pour se dire : « Ça c’est intéressant. » Ils ont réellement coopté le projet malgré les doutes qu’ils pouvaient avoir, en terme de difficulté. 

EO : En plus d’un endroit la partition est écrite dissonante pour les voix. Il y a aussi de grandes complexités rythmiques. C’est difficile pour tout le monde. La vocalité de Glass est très particulière. Il y a quelque chose qui, au début, met les chanteurs dans un inconfort mais qui les oblige à se ressaisir et aussi à se concentrer sur la théâtralité . Ça ne marche que quand ils sont vraiment dans le jeu. Glass, même s’il écrit aussi des jolies mélodies, des choses flatteuses pour la voix, écrit du jeu. 

PM : C’est parfois le jeu qui devient repère. Et je mesure aujourd’hui le niveau atteint sur ce plan. Ce qui était au départ un enfer est devenu un vrai bonheur.

La place des trois pianos a dû être un des premiers premiers points d’échange entre vous deux...

PM : J’ai tout de suite proposé que les pianistes soient en scène. Au début, tout en blanc, ils sont comme des soignants. Ils sont comme posés sur le disque d’une histoire qui va vers le drame. Pour moi c’était une évidence. D’autant plus que je mets en scène leurs mains.

Emmanuel, comme à Bordeaux en 2011, vous assurez la direction musicale de ces nouveaux Enfants terribles. Un opéra pour trois pianos et quatre chanteurs a-t’-il besoin d’un chef d’orchestre ?

EO : Dans la version officielle de la création avec Glass, il y avait une cheffe d’orchestre. Ça facilite la tâche des chanteurs. Mais quelque part ça les déresponsabilise. Quatre chanteurs, trois pianos : on pourrait imaginer un processus de musique de chambre mais il faut tout de même quelqu’un pour focaliser les priorités. Le travail vocal nécessite une direction, mais au sens large : voir comment l’on va s’y prendre pour apprendre cette partition, être l’oreille extérieure. Les chanteurs sont cette fois plutôt matures alors qu’ils étaient plutôt très jeunes à Bordeaux. Dix ans après je ne suis plus le même non plus, en terme de jeu, d’envies, et même de méthodologie… Ce sont aussi les interlocuteurs qui nous font évoluer. J’ai le sentiment que Glass réagit à Cocteau d’un point de vue surtout visuel. Pour lui, Cocteau, c’est surtout le cinéaste. Dans cette optique Stéphane Vérité faisait beaucoup appel à la vidéo. Chez Phia, le visuel est également très important, mais avec un langage qui n’a rien à voir. 

PM : Notre spectacle comporte assez d’images pour qu’on ait l’impression d’être dans un film. Un film qui ne vient pas de l’image, mais plutôt du film que l’on est en train de tourner. Je préfère créer l’image plutôt que de me laisser vampiriser par elle. J’adore regarder Emmanuel travailler avec les chanteurs. C’est d’une précision sans pression. D’une douceur aussi. C’est fantastique. Ça contribue au plaisir que l’on ressent tous. J’aime à l’appeler mæstro tout en le tutoyant.

« C’est une sorte de grande performance, de l’ordre du voyage intérieur, de la méditation, qui vise à inclure tout le monde, le spectateur compris. Il faut accepter de se laisser emporter, de perdre le contrôle. »

Vos Enfants terribles sont sonorisés…

EO : Tout le monde est sonorisé, vu que, comme à Zurich en 1996, et contrairement à Bordeaux où les pianos étaient accoustiques, et où seul le narrateur était sonorisé, nous avons des pianos numériques. Un choix prodigue en effets de spatialisation comme d’adaptation au « cercle vicieux » de cette mise en scène en mouvement. 

Cette musique facile à entendre est-elle difficile à jouer ? Vous parlez d’un grand crescendo au terme duquel les personnages restent « rechargés, hébétés et vibrants ». Le spectateur aussi ?

EO : Avoir l’expérience de cette musique n’est pas négligeable. Avec Glass, il y a toujours cet enjeu : comment on va tenir, ne pas se perdre dans les reprises, jouer le même motif trois minutes durant sans s’arrêter... Ce n’est pas de la musique hyper-virtuose mais ça n’est pas non plus de la musique facile. Cela dit, il y a un tel rapport entre la dramaturgie et l’énergie de cette musique que tout le monde à la fin est transporté : une grande découverte pour moi ! La première scène sous la neige est assez emblématique, qui invite d’emblée à l’hypnose. C’est une sorte de grande performance, de l’ordre du voyage intérieur, de la méditation, qui vise à inclure tout le monde, le spectateur compris. Il faut accepter de se laisser emporter, de perdre le contrôle. 

Propos recueillis par Jean-Luc Clairet pour La co[opéra]tive en novembre 2022.