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La Toneelhuis à la MC93
Guy Cassiers a construit un dyptique pour porter à la scène cette réalité dure et directe de l’exil et de la migration. Tout d’abord avec Grensgeval (Borderline), créé en 2017, sur un texte de Elfriede Jelinek puis dans un registre totalement différent, celui du rêve et de l’imaginaire avec La petite fille de monsieur Linh, Philippe Claudel.
« Nous suivons une personne qui observe son environnement de manière purement sensorielle, mais qui n’y comprend rien : il entend les mots, mais ne les comprend pas, il perçoit l’environnement, mais ne sait pas le « lire », il entend des sons, mais ne sait pas les situer, il sent des odeurs, mais ne peut pas les expliquer, etc.
Pour Monsieur Linh, le monde paraît kaléidoscopique : il voit plusieurs pièces du puzzle, mais ne dispose pas des outils (culturels) pour les assembler en un tout, contrairement au public qui peut percevoir et comprendre toute l’information, mais qui fait face à un personnage principal charmant qui n’en est pas capable : il a beau essayer, Monsieur Linh n’est pas en mesure de saisir le nouveau monde dans lequel il se retrouve soudain, une expérience extrêmement étrange et déstabilisante… Seul Monsieur Bark peut lui offrir du réconfort, même si Linh et Bark ne partagent pas un mot d’une même langue.
Là où Grensgeval peut être qualifié de cri factuel, La Petite fille de Monsieur Linh peut plutôt se lire comme une hallucination d’une réalité sur laquelle on n’arrive pas à avoir prise. Dans le premier cas, il s’agit d’un récit collectif, dans le second d’une histoire individuelle. Mais les deux spectacles partagent une même thématique : nous sommes tous égarés, nous avons perdu nos repères, non seulement le réfugié qui échoue dans un nouveau monde, mais aussi l’habitant de ce nouveau monde. Nous sommes tous en quête de solutions et ressentons tous un besoin de dialogue. Or celui-ci ne s’établit pas, ou si péniblement. » Guy Cassiers
Mokhallad Rasem, metteur en scène irakien est artiste associé au Toneelhuis d’Anvers dirigé par Guy Cassiers. Il présentera en écho au spectacle de Guy Cassiers, Les Chercheurs d'âmes, performance pour laquelle il est parti d’expériences vécues dans des centres d’accueil pour migrants*. Il les compare à une antichambre ouvrant les portes d’un nouveau monde.
La vie qui précédait est de toute manière terminée, la vie suivante ne peut pas encore être initiée. Dans une sorte de limbes, les demandeurs d’asile oscillent entre la nostalgie du passé et la soif d’un avenir encore à conquérir. Cette enclave fait à beaucoup l’impression d’une prison paralysante, mais Mokhallad Rasem plaide résolument en faveur du déblocage de cette sclérose. Il parle d’expérience, lui qui a résidé dans le centre d’asile de Zemst de 2005 à 2006. D’après lui, il est possible, même dans cette phase incertaine de transition, d’ouvrir déjà les portes d’un nouveau monde, vers une nouvelle existence. Une nouvelle âme…