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Magazine

3 octobre 2022
À lireEntretiens2022-2023

Le couple comme terrain d’observation

Entretien avec Winter Family autour de Patriarcat

Après trois spectacles liés à des questions géopolitiques, pourquoi aborder l’intime ?

Ruth Rosenthal : La banalité du patriarcat dans le couple est un sujet politique. On a donc pris notre couple comme terrain d’observation car c’est celui qu’on connaît le mieux. On ne cherche ni la guerre, ni à éduquer. On essaie de montrer une situation, sans jugement.

Xavier Klaine : On trouvait drôle de repartir de la parole de l’homme blanc cis pour mieux la déconstruire. On se rend compte que même entre amis, s’il y a deux hommes et cinq femmes, ce sont souvent les deux hommes qui s’écharpent sur le féminisme et les femmes attendent pour pouvoir parler. Je le vois aussi dans ma façon de parler à Ruth en répétitions, dans le travail. C’est tellement caricatural qu’on a eu envie de partir de nous.

« Ruth a noté à mon insu pendant des mois ce que je lui disais et qu’elle jugeait patriarcal. À la fin, elle m’a sorti quarante pages d’ordures verbales qu’elle m’a demandé de réenregistrer à froid. »

Avez-vous toujours été concernés par cette question ou traversés récemment, à la faveur des luttes menées notamment par les nouvelles générations ?

R.R. : En tant que femme, évidemment j’ai toujours été consciente mais quand j’avais vingt ans, être féministe était limite un peu ringard. Alors qu’aujourd’hui c’est évident pour moi. Avoir une fille a sans doute aussi clarifié mon besoin de prise de parole.

X.K.  : La génération de notre fille a intégré et développe encore plus loin les combats sur ces questions. Par ailleurs, on fréquente et on fait parfois des concerts dans des squats qui sont un peu des laboratoires autogérés de ces luttes et de la tentative de déconstruction du patriarcat. C’est un terrain d’observation et d’étude très intéressant.

Comment avez-vous procédé ?

X.K. : Pour le monologue de l’homme, Ruth a noté à mon insu pendant des mois ce que je lui disais et qu’elle jugeait patriarcal. À la fin, elle m’a sorti quarante pages d’ordures verbales qu’elle m’a demandé de réenregistrer à froid. Et c’était horrible. D’autant que c’était du concentré. En réalité, la parole a été captée sur deux ans.

R.R. : Tout ce qui est dit sur scène a été prononcé. On a dû faire plusieurs enregistrements pour trouver la bonne voie, parce que c’était très dur pour Xavier mais aussi parce qu’on ne voulait pas être dans un jeu trop dramatique. Il fallait garder une certaine distance.

X.K. : Et éviter l’autosatisfaction de l’autoflagellation. Finalement, on a essayé de recréer le son de la litanie que Ruth entend dans sa tête.

R.R. : Pendant un moment, les répétitions nous rendaient fous. On ne savait plus si on était dans le travail ou la vraie vie. Mais on a intégré nos désaccords dans le spectacle.

Comment la figure des sorcières est-elle apparue ?

R.R. : Ce n’est pas la question de la sorcière qui m’intéresse, mais celle de l’effacement du savoir féminin et de la domination masculine capitaliste. Ainsi que la violence horrible générée par le système patriarcal, de la chasse aux sorcières jusqu’aux féminicides contemporains.

Le spectacle est marqué par un évènement fort, lié à des débats aigus du moment…

R.R. : L’idée est de questionner et de faire ressentir au public la mise à l’écart des centres de décision que les femmes éprouvent depuis des milliers d’années — et aujourd’hui encore. Mais aussi d’interroger les réponses contemporaines passionnantes telles que les réunions en non-mixité. Si ces réunions existent, c’est sans doute que les femmes en ont besoin. On tente d’agiter tout cela.

X.K. : Dans des squats à Paris, on a assisté à des exclusions : des hommes se font sortir du lieu par des femmes ou des personnes trans parce qu’ils ont des paroles ou des comportements virilistes, patriarcaux ou inappropriés. C’est violent et courageux. Et ça pose plein de questions.

Comment avez-vous composé le spectacle ?

R.R. : Il est constitué de trois monologues : l’homme, moi et notre fille adolescente. Ce sont trois prises de parole complètement différentes. Ma réponse à Xavier ne propose pas une lutte frontale mais un autre chemin, non binaire, qui n’est pas dans la recherche de pouvoir ou le progrès. La question est de savoir ce que l’on choisit de cultiver dans notre société et en chacun de nous. 

X.K. : On parle d’un problème mais finalement on ne propose pas de remède. Ce qui m’intéresse vraiment, c’est d’être à hauteur d’individu. Comme dans H2-Hebron où l’important n’était pas uniquement le conflit israélo-palestinien mais la vie des êtres humains présents dans cette zone.

« Le problème n'est pas « les hommes », ou « les femmes », le problème c'est la société que l'humain a choisi de cultiver. »

Que cherchez-vous à provoquer chez le spectateur ?

X.K. : Je voudrais qu’on se rende compte à quel point le patriarcat est omniprésent au quotidien, même dans nos milieux soi-disant progressistes. On demande beaucoup aux hommes des classes populaires mais les hommes privilégiés du pouvoir culturel se comportent souvent de façon hyper-patriarcale et n’en ont aucune conscience alors qu’ils prétendent avoir tout compris.

R.R. : La question n’est pas seulement d’avoir fait le travail de déconstruction ou pas, c’est beaucoup plus profond que ça : tout le système est patriarcal. C’est partout et tout le temps. Je ne sais pas si on va arriver à en sortir. Le problème n'est pas « les hommes », ou « les femmes », le problème c'est la société que l'humain a choisi de cultiver. C’est systémique. Il y a heureusement la voix des jeunes. C’est pour ça que dans la dernière partie, notre fille prend la parole. C’est peut-être une porte de sortie.

Comment avez-vous composé la musique ?

X.K. : Les trois parties du spectacle sont des formes de pièces sonores. On pourrait les jouer sans lumière, sans rien, sans nous. Pendant le confinement, je me suis amusé à mettre des micros au-dessus de notre lit, sans le dire à Ruth, pour enregistrer sa respiration pendant la nuit et j’ai enregistré au piano en l’écoutant depuis une autre pièce. Le procédé ne lui a pas plu du tout. Mais finalement c’est la bande son du spectacle que je travaille sur scène. C’est déjà une mise en abyme de notre façon de travailler : un processus aux limites de la manipulation. Comme le prélèvement discret de mes paroles par Ruth.

R.R. : L'espace scénique est une abstraction de notre appartement-studio. Les trois parties comportent de la musique live. Dans tout notre travail de théâtre documentaire, le son, les enregistrements ou la musique sont fondamentaux.

Propos recueillis par Olivia Burton en avril 2022.

Crédits photos © Shlomi Yosef