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Magazine

20 septembre 2021
À lireEntretiens2021-2022

Molly Bloom

Entretien avec Viviane de Muynck

Comment est né ce projet d'adaptation du dernier chapitre de l'Ulysse de James Joyce ?

Viviane De Muynck : Jan Lauwers et moi avons travaillé en 1999 à une première version d'adaptation du texte, adaptation nécessaire compte tenu de la longueur de ce texte qui représenterait plusieurs heures de spectacle si on devait le dire dans son intégralité. Malheureusement à ce moment-là, l'ayant droit de James Joyce refusait toute adaptation des textes. Depuis, l’œuvre de James Joyce est tombée dans le domaine public et nous avons eu envie de reprendre cette aventure, nouvelle étape dans le compagnonnage que j'entretiens avec Jan Lauwers depuis de très nombreuses années. Ce qui nous a encouragés à poursuivre ce travail, c'est l'accueil très chaleureux qu'il a reçu l'an dernier en Espagne, quand nous l'avons présenté en français à Madrid et Gérone. Les réactions ont été très positives, en particulier celles des spectatrices bouleversées par la vérité de ces paroles féminines, les hommes étant eux aussi très touchés et bousculés par la liberté de ton de l'héroïne, Molly Bloom qui se livre totalement sur des sujets qui restent parfois très tabous.

Est-ce vous qui avez construit cette adaptation ?

Oui c'est moi à partir de la traduction française de Tiphaine Samoyault. Au fur et à mesure que j'avançais dans le texte, je présentais mon travail à Jan Lauwers et je tenais compte des remarques qu'il me faisait. La difficulté était de choisir les grands axes que je voulais mettre en valeur sans que le spectateur ne se perde au milieu de la masse des sujets que Molly aborde pendant ce monologue. Il est beaucoup question des événements politiques qui traversent l'histoire complexe de la République d'Irlande. Il y a beaucoup de références militaires. Je me suis donc concentrée sur ce qu'elle dit de ses rapports avec les hommes. Elle traverse beaucoup d'épisodes de sa vie depuis son premier amour jusqu'à la rencontre avec celui qui devient son mari, Léopold Bloom. Elle revendique une grande fidélité à celui qu'elle a choisi mais elle voudrait le retrouver tel qu'elle l'a connu pour retrouver les sentiments qui l'ont animée au début de leur rencontre amoureuse.

© Maarten Vanden Abeele

Elle dit de cet homme qu'elle l'a choisi mais que cela aurait pu en être un autre....

Oui mais elle n'a pas voulu en attendre un meilleur et elle ne cache rien de ses doutes au moment du choix. Là, comme à tous les instants de cette confession où elle ne cache rien, elle parle avec une grande sincérité du regard distancié qu'elle porte sur les hommes. Mais une fois son choix opéré, qui n'est pas une décision légère, elle se laisse totalement emporter dans cette aventure amoureuse qui occupera toute sa vie.

"Molly ne ménage pas son vocabulaire pour parler de ses désirs sexuels et de la conscience très claire qu'elle a de la différence entre plaisir masculin et plaisir féminin"

 

Le texte a été censuré pendant neuf ans, de 1922 à 1931. Que contient-il de si dangereux pour les mœurs ?

Il faut le replacer dans l'époque. On sort de la période victorienne qui a vu la femme devenir l'ange silencieux de la maison, celle qui s'occupe de son mari et de ses enfants. On est dans une nouvelle époque, celle de Virginia Woolf et de T.S. Eliot et la perception du statut des femmes est en pleine évolution. On a beaucoup dit, et avec raison, que James Joyce s'était beaucoup inspiré de sa propre femme, Nora Barnacle, pour faire ce portrait de Molly Bloom.

Les deux sont des femmes relativement libres qui réfléchissent sur leur situation d'épouse. Elles sont toutes les deux encore au service de leur mari mais elles revendiquent leur personnalité, leurs désirs. La correspondance entre James Joyce et Nora Barnacle témoigne d’une très grande liberté de ton de la part des deux protagonistes. Molly ne ménage pas son vocabulaire pour parler de ses désirs sexuels et de la conscience très claire qu'elle a de la différence entre plaisir masculin et plaisir féminin. Elle décrit très bien son état de femme amoureuse, sexuellement amoureuse.

Avez-vous le sentiment qu'il y a de nouveau une urgence à faire entendre ce texte dans un moment de résurgence du puritanisme en Europe et particulièrement en France ?

Certainement. Ce texte a été écrit il y a un siècle maintenant et l'on a le sentiment que l'émancipation des femmes est encore un combat aujourd'hui devant la recrudescence des abus sexuels, de la violence qui peut aller jusqu'au meurtre et des propos antiféministes qui ressurgissent sans aucune gêne. Entre le renouveau des nationalismes et le nouveau rigorisme moral, il devient parfois difficile d'échapper au politiquement correct et à l'autocensure. C'est pourquoi la parole de Molly Bloom doit se faire entendre puisqu'elle n'est pas dans un combat contre les hommes. Elle veut seulement que les différences entre les hommes et les femmes soient acceptées, que la domination exclusive cesse, qu'on aille vers une égalité. Molly est franche et libre, elle ne condamne pas, elle constate ce que sont les hommes. Elle rêve d'une existence différente et elle revendique ce droit au rêve.

Elle exprime ses regrets, ses fantasmes et les opinions qu'elle s'est forgée au contact de son époux Léopold Bloom. Mais ce n'est pas une héroïne féministe combattante. Elle navigue entre insouciance et radicalité. Je l'aime infiniment cette Pénélope des temps modernes et j'aime le rapport de couple très libre qu'elle revendique et assume, comme je suis sensible à ce que les témoins ont raconté du couple James – Nora puisqu'il semble que le récit de Molly Bloom raconte une part importante de l'intimité de ce couple si particulier.

"Pas d'intellectualisme mais du vivant, de la force, de la joie. Joyce travaille avec le sens des mots"

 

Le style de Joyce est unique dans sa composition. Comment avez-vous travaillé pour faire entendre ce texte ?

Je crois qu'il ne faut pas parler pour tenter d'exprimer rationnellement les pensées de Molly mais c'est la sonorité du texte qui doit résonner et qui est la clef pour pénétrer cet univers de la langue. Le texte, écrit sans ponctuation, doit être vivant car Molly se construit en parlant et la lecture à haute voix permet de faire entendre les méandres de ce discours. Elle associe librement ses pensées et passe de l'une à l'autre sans se soucier d'une logique. Elle ne réfléchit pas à haute voix, elle se jette dans la parole pour exprimer ce qu'elle a vécu et là où elle en est au moment même du récit, sa réalité et ses fantasmes, ses rêves et ses désirs toujours présents. Pas d'intellectualisme mais du vivant, de la force, de la joie. Joyce travaille avec le sens des mots et c'est un énorme travail de traduction qui est nécessaire quand on le fait entendre dans une autre langue que l'anglo-irlandais d'origine. Par exemple, le français a besoin de plus de mots pour exprimer une même pensée. Pour la comédienne que je suis, c'est un travail d'une grande délicatesse qui est nécessaire, d'attention permanente, d'apprentissage minutieux. Molly est encore une jeune femme dans le roman alors que je ne le suis plus du tout. Je ne joue donc pas à la jeune fille mais je joue avec mon corps tel qu'il est aujourd'hui, qui est le résultat de ma vie et de mon parcours théâtral, absolument indissociables pour moi. C'est une grande chance de pouvoir faire entendre une voix de femme qui parle à cœur ouvert, qui aime la vie et qui ne refuse pas les contradictions inhérentes à toute vie humaine. Elle est à la fois complexe, amorale, astucieuse, prudente, indifférente, solide, faible. On emploie souvent, trop facilement, le terme de chef-d’œuvre. Ici, c'est vraiment un chef-d’œuvre que j'essaye de servir au mieux.

Propos recueillis par Jean-François Perrier en mars 2021