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Magazine

1 février 2019
À lireEntretiens2018-2019

Nana, une adaptation de Franck Edmond Yao et Monika Gintersdorfer

Entretien

Monika, vous êtes une metteure en scène allemande, Franck, vous êtes un chanteur, danseur et performeur ivoirien, tous deux êtes les cofondateurs du collectif La Fleur, comment vous êtes-vous rencontrés ? 

Franck Edmond Yao : À l’époque, il y a une quinzaine d’années, j’étais à Paris où je donnais des shows de danse dans les boîtes de nuit. Je fréquentais assidûment le milieu de la nuit — on en a parlé dans Jet set (spectacle de Ginterdorfer / Klaßen — ndlr), les djs et les artistes de la diaspora vivant à Paris. Je tenais à être là chaque fois qu’une boîte de nuit ouvrait et chaque fois qu’elle fermait, car à l’époque aussitôt qu’on ouvrait une boîte, le gouvernement la faisait fermer ! Ces boîtes se montaient parfois dans des entrepôts, des locations, des sièges d’associations. Je voulais être présent là où ça chauffait fort. C’est à cette période-là que j’ai rencontré Monika, lors d’un séjour à Hambourg.

"Franck était un performeur : notre premier « spectacle » était en fait un défilé de mode dans une boîte de nuit ! (...)"
 

Monika Gintersdorfer : En effet, j’habitais Hambourg où vivait une très grande communauté d’ivoiriens, de ghanéens, de nigériens qui faisaient souvent venir des artistes africains de Paris. Il y avait un échange dans les deux sens et certains allaient à Paris pour passer du temps et s’amuser. À ce moment-là, on était avec Franck, chacun de son côté, en contact avec beaucoup de personnes. À Hambourg tout se passait dans un seul quartier, entre un atelier de couture et toutes sortes d’infrastructures, des clubs, une mosquée, de la nourriture africaine, un coiffeur africain, il y avait aussi des Turcs et des Iraniens. On y vendait des voitures, des tickets de bus pour aller à Paris et même du poisson braisé ! Il y avait pas mal d’amitiés, amitiés artistiques et amitiés tout court. Nous nous sommes connus là-bas (...) et avons commencé à travailler ensemble. Au départ, Franck était un performeur : notre premier « spectacle » était en fait un défilé de mode dans une boîte de nuit ! (...) On a pu entrevoir, dès ce moment-là, ce qui sous-tend notre manière de travailler depuis. Tout le monde venait chez nous, c’était naturel, il n’y avait pas besoin de rendez-vous. Tout était lié : la boîte de nuit, l’atelier de couture, la nourriture, la mosquée, la vente de tickets, c’était un très très grand réseau. Mais, vers 2006, les bâtiments — une dizaine — ont été rasés par la ville de Hambourg.

Comment est née l’idée du collectif La Fleur ? 

F.E.L : Après ces années-là entre Hambourg et Paris, moi je suis allé à Abidjan pour réaliser un album, Monika est allée à Berlin, qui n’a rien à voir avec Hambourg par rapport à la communauté et la manière dont on y vit. Tout a commencé à changer, cela a été une période de transition, mais ce que nous avions réalisé auparavant nous manquait ! L’idée d’un nouveau groupe a alors émergé. 

M.G : Les gens ne pouvaient plus se réunir de cette manière naturelle. Avec notre groupe Gintersdorfer / Klassen nous nous sommes beaucoup professionnalisés et, moi étant à Berlin, nous ne pouvions plus rester en contact avec toutes les personnes qu’il était normal de voir régulièrement et avec qui des projets se créaient. On se voyait alors une fois par an, ou par hasard. Alors, après quinze ans, nous nous sommes dit qu’il était dommage de ne plus partir aussi souvent en France et de ne pas entretenir le lien qui était si fort à l’époque entre Paris et Hambourg. D’où l’idée du nouveau collectif, La Fleur.

"Notre situation à Paris fait que, chaque jour, Franck peut avoir un appel qui lui annonce qu’un très bon danseur est arrivé d’Abidjan ou d’ailleurs, et qu’il a envie de nous rencontrer."
 

La Fleur vous permet donc un rapprochement avec la France ? 

M.G : Oui, c’était pour nous deux au départ l’envie de restaurer le lien avec Paris. En France, il y avait des gens qu’on connaissait depuis longtemps comme DJ Meko. Lui est vraiment basé à Paris, il travaille dans le milieu de la nuit parisienne. On l’appelle « le chouchou du peuple », il chante bien, il s’occupe aussi d’animations, de modération — c’est devenu son travail, même s’il est danseur à la base — et dans notre contexte, il exerce son talent d’acteur. Cela a été évident, par exemple, que Meko, qu’on connaissait et appréciait, serait membre de La Fleur. Notre situation à Paris fait que, chaque jour, Franck peut avoir un appel qui lui annonce qu’un très bon danseur est arrivé d’Abidjan ou d’ailleurs, et qu’il a envie de nous rencontrer. Et c’est précisément ce lien que nous voulions entretenir.

Comment vous répartissez-vous le travail dans le collectif La Fleur ? 

M.G : Je ne sais pas si c’est le cas en France, mais en Allemagne « collectif » laisse entendre que toute monde gère tout. Ça n’est pas le cas pour La Fleur ! Notre structure est assez classique. On peut dire que Franck et moi assurons la direction artistique : moi je suis metteure en scène, Franck est chorégraphe. Mais, pour autant, il n’y pas de délimitation claire entre nous. Je peux dire des choses sur le mouvement et lui peut aussi avoir — on se connaît depuis des années — des idées scéniques.

Vous parlez souvent de danse. Les spectacles de La Fleur relèvent-ils de la danse ? Du théâtre? 

F.E.L : C’est vraiment un mélange. On ne se dit pas, par exemple, untel est acteur donc sa force est dans la parole. On répète tous de la même manière. Moi, au départ, je suis danseur mais il m’arrive de ne pas danser et de travailler uniquement sur un texte. De même, certains acteurs peuvent danser. Sur les répétitions on pousse tout sans distinction entre acteurs et danseurs. On ne met jamais de barrière entre danse et théâtre.

"Nous voulons réaffirmer que la danse peut être narrative, sans retourner vers le traditionnel mais au contraire, en proposant une autre piste d’avant garde."
 

M.G : Notre groupe est interdisciplinaire et en travaillant sur la littérature française, on cherche à s’approprier le récit d’une autre manière, notamment à travers la danse. La littérature chez nous va parfois être dansée ! C’est ce qu’on a commencé avec Balzac. Bien sûr on utilise la parole mais, par exemple, une rencontre dans le roman, on peut essayer de la danser. La narration a beaucoup été éliminée de la danse contemporaine, nous voulons réaffirmer que la danse peut être narrative, sans retourner vers le traditionnel mais au contraire, en proposant une autre piste d’avant garde. Il nous arrive aussi de chanter certains textes. Et ce mélange des genres caractérise le projet de La Fleur. 

Après avoir librement adapté Balzac dans Les Nouveaux Aristocrates, vous choisissez de travailler cette fois sur Zola. Qu’est-ce qui vous motive dans ces choix d’auteurs français du 19e siècle ? 

M.G : J’ai étudié la littérature allemande, mais c’est à cinquante ans que je découvre la littérature française avec grand plaisir ! J’ai lu plusieurs Balzac avec lesquels je me suis sentie en totale intelligence ! J’y ai trouvé quantité de liens qui peuvent facilement s’établir avec notre groupe. Après Balzac, j’ai commencé à lire Zola : L’ Assommoir et Nana.

Cette littérature vous parle au présent… 

M.G : Avec Balzac, il m’était facile d’établir des liens avec des sujets qui sont autour de nous depuis des années, que ce soit avec l’équipe Gintersdorfer / Klassen ou, à présent, avec la nouvelle équipe de La Fleur. Par exemple, c’est la thèse qui sous-tendait Les Nouveaux Aristocrates présenté la saison dernière. Aujourd’hui les gens en Occident sont étouffés, la mentalité bourgeoise calculatrice a pris le dessus et ceux qui sont encore dans « la sape », dans la flambe, qui savent organiser des moments de fête pour se donner une deuxième existence — qui n’est pas celle qu’on est obligé de vivre — je trouve que ce sont plus les étrangers ou bien des personnes d’origines étrangères. Sur ce plan-là, il était très facile de trouver des liens avec Balzac. Et il y a là une façon pour des Africains francophones de se réapproprier un corpus littéraire qui a été imposé par la culture coloniale et qui est maintenant revisité de plein gré, dans un but artistique, en y relevant des aspects qui dans la lecture a priori de l’œuvre — dans la lecture « blanche » — ne seraient pas visibles.

"Nous on ne va pas dire que Nana ça parle de la France, ou que Nana c’est une femme du 19e siècle"

 

F.E.L : Moi, je ne connaissais pas Nana. Le problème — et ça les Français ne le savent pas toujours — c’est que pour les Africains qui vivent en France, non pas qu’ils soient illettrés ou que la culture ne les intéresse pas, c’est la manière de les amener à s’intéresser à cela qui fait défaut. C’est vrai qu’il y a des bibliothèques, mais comment s’intéresser à l’écrivain, à l’histoire ? Il y a une façon d’appréhender la chose. Parce que si on cantonne cela à une question de littérature, tout de suite on met des barrières, les gens s’en sentent loin, ils ont du mal à comprendre en quoi cette histoire les regarde. Nous on ne va pas dire que Nana ça parle de la France, ou que Nana c’est une femme du 19e siècle. Dans cette histoire, on souligne que Nana peut être Lucie, peut être Marie, qu’elle pourrait s’appeler Maryam, il s’agit d’abord d’êtres humains et il ne s’agit pas de quelque chose qui se passe dans un ailleurs.

"Nana est à sa façon une femme politique."
 

Qu’est-ce qui a motivé votre choix d’adapter le personnage de Nana, actrice et prostituée de luxe ? 

F.E.L : Ce qui nous intéresse, au-delà de l’histoire stricte du personnage de Nana dans le roman, c’est la réalité très présente de personnes semblables, qui se cherchent et que nous connaissons autour de nous. Personne ne peut nous dire que Nana est un personnage de fiction, que Zola a inventé Nana, parce que nous en connaissons des « Nana », elles existent. On peut les appeler prostituées mais pour moi c’est un mot trop fort, qui dénigre, qui renvoie à une aliénation alors que ce sont des personnes qui ont un certain type d’intelligence. Les politiciens agissent de la même façon quand ils réfléchissent aux moyens d’atteindre un objectif en exerçant un pouvoir sur autrui. Nana est à sa façon une femme politique. 

M.G : Nana gère les envies des gens, elle a de l’expérience, elle comprend comment l’humain fonctionne et elle essaye de faire de cela un modèle de business. On peut aussi dire, en effet, que Nana est quelqu’un qui se cherche et cette dimension-là, Franck et les membres du groupe la connaissent très bien. À savoir que tu n’as pas de papa, maman, qui vont t’aider, tu n’as rien, tu n’as même pas un compte bancaire, ce que tu as c’est ton corps. C’est une base, c’est ta première ressource et tu dois savoir comment la gérer pour que ça te rapporte quelque chose. Dans un premier temps, Nana a une réussite assez grande et il lui arrive de prendre l’ascendant sur des hommes qui n’ont pas le droit de la toucher alors qu’ils ont dépensé des millions pour elle. 

Propos recueillis par Tony Abdo-Hanna en mars 2018

Photos © Félix Schoeller