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Magazine

10 juin 2021
À lireEntretiens2020-2021

Notre lien au temps

Entretien avec Cindy Van Acker

Votre recherche sur l’espace-temps se poursuit dans Without References. Nourrissez-vous l’idée qui vous inspire par des lectures, des immersions dans la nature, l’isolement ?

Pour Without References, je me suis surtout inspirée du cinéma ; de la superposition d’informations données en simultané par le son, l’image et les points de vue créés par les mouvements de caméra, mais aussi de la possibilité qu’il offre pour mettre en exergue le rapport au temps, tout en le fixant pour toujours. J’ai cherché à adopter l’esprit du montage-cinéma pour expérimenter une nouvelle temporalité sur scène. Deux films traversent la pièce, sans jamais être visibles. Je les ai choisis pour leur puissance formelle dans le traitement du temps. Bien qu’il s’agisse de deux longs métrages très différents, tous deux font radicalement sauter les codes formels.

La chorégraphie est mon outil d’expérimentation du rapport intime au temps, c’est ce qui m’intéresse depuis toujours. Comment peut-on repenser et tordre le temps réel avec lequel on compose dans les arts vivants, afin d’obtenir une temporalité différente ? Comment l’investit-on ? Voilà une question cruciale, existentielle. Notre lien au temps révèle notre qualité d’ancrage dans le monde, et notre positionnement vis-à-vis des contraintes sociales. Je mène une recherche atemporelle qui ne s’est jamais inscrite dans des tendances. Il faut faire acte de résistance quotidienne pour trouver un rythme de vie organique. Personnellement, je trouve que tout va beaucoup trop vite, du coup je ne ressens pas la capacité à percevoir les choses. Je crois que je suis quelqu’un de foncièrement lente… ou alors, ce n’est peut-être pas que je suis lente, mais je navigue dans une strate de temps souterraine.

Vous ouvrez une autre dimension, remplie d’autres phénomènes, dans une démarche quantique ?

On peut le nommer comme ça, oui. La raison pour laquelle je continue à créer est le désir d’ouvrir et d’offrir d’autres espaces temporels et imaginaires aux danseurs comme aux spectateurs, que chacun puisse habiter à sa manière.

Comment emmenez-vous les interprètes à basculer dans cette autre dimension ?

Cela dépend des projets. Pour Without References, nous avons d’abord travaillé l’idée de suspension. On entame une action puis on suspend cette action. Qu’est-ce que devient le temps de la suspension ? Peut-on l’investir ? Devient-il quelque chose en soi ? Arrêtons-nous pour l’observer et pour laisser venir et advenir. L’idée de départ semble simple mais cet outil a dépassé mes attentes et généré énormément de pistes. Ensuite, il s’agit de faire des choix parmi les ramifications qui se créent horizontalement et à partir desquelles il est possible de tisser de nouvelles connexions.

L’état des danseurs évolue-t-il au fur et à mesure que le travail de suspension se prolonge ? Le travail, s’il est interrompu, reprend-il exactement au même stade ?

L’état de l’interprète évolue sans cesse. La mémoire du corps assimile les différentes couches de travail. Nous creusons toujours plus loin et accumulons les traces de cette expérimentation, comme nous conservons les traces d’un vécu. Cela pénètre jusqu’au cœur des cellules, il suffit de le reconvoquer. Parallèlement à ce chantier à long terme, nous revenons à des outils techniques pour exercer la reproduction du geste, mais je réalise que Without References a déplacé mon rapport à l’écriture.

Mon outil pour avancer en solitaire passe souvent par l’écriture d’une partition. Après une session de travail avec les danseurs en novembre dernier, j’ai eu l’intuition que l’écriture d’une partition qui fixerait la chorégraphie à ce stade-là allait tuer le rapport vivant des danseurs au travail entamé sur la suspension. J’ai donc retardé cette phase.

Comment formaliser sur scène une idée relevant de l’abstraction ?

Je dirais par les outils formels eux-mêmes. En attendant de retrouver les danseurs, on a avancé avec Maud Blandel sur les questions de structure et d’esthétique, deux dimensions prépondérantes dans mon travail, si précieuses pour donner forme aux idées. J’aime l’alchimie entre les différents éléments qui composent une image vivante, puis l’association de ces images entre elles qui composent le spectacle. Les outils formels posent un cadre à l’intérieur duquel on peut trouver une nouvelle liberté. Pour donner un exemple concret, j’ai décidé que la durée de la pièce correspondrait à la longueur du film diffusé dans le téléviseur intégré à la scénographie. Mon canevas temporel scénique s’inscrit donc dans la structure du film et est déterminé par sa durée.

Le processus de création a débuté en novembre 2018 avec la création d’une série de soli, un solo pour et avec chacun des onze danseurs. Ces Shadowpieces n’apparaîtront pas directement dans la pièce, mais la nourrissent en creux. Chaque solo existe en tant que tel. Tous tourneront indépendamment de la pièce principale. L’un des soli, celui de Maya Masse, est dansé sur la Fugue inachevé à trois sujets de Bach, qui a déterminé notre découpage temporel. Jouée par Glenn Gould au piano, elle dure environ 12 minutes.

J’ai découpé la timeline du spectacle en respectant les proportions des trois mouvements de cette fugue. Ainsi, la première partie représente 48,40% de la durée totale, la deuxième 30,30%, la troisième 21.30 %. Ces proportions reportées à la timeline générale permettent de définir la durée de chacune des trois parties de spectacle. Chaque fois que se pose une question de temporalité, j’applique cette règle proportionnelle-là.

Un principe qui revient à plusieurs reprises dans la pièce est celui du déroulé mental. Les gestes des interprètes sont inscrits dans des scènes qu’ils font défiler mentalement et qu’ils retraverseront avec leur propre subjectivité à chaque représentation. Cela constitue leur matière commune. Les danseurs suivront toujours la même trajectoire, mais les rencontres pourront différer.

Les différentes composantes de vos spectacles fusionnent sans hiérarchie pour engendrer une œuvre totale. Pourriez-vous nous parler de la scénographie, de la lumière et de la musique ?

La scénographie est signée par Romeo Castellucci. C’est Victor Roy avec qui je collabore depuis 2008, qui m’a soufflé l’idée de l’inviter. Je travaille avec Romeo depuis 2007 et la création pour la Nouvelle Comédie était une belle occasion pour apporter une nouvelle couleur à notre collaboration. Il a accueilli ma proposition avec enthousiasme. L’espace scénique qu’il a proposé est devenu par sa force l’argument principal qui a guidé la pièce. La lumière est conçue par Victor Roy. Ensemble on pense la temporalité de la lumière que l’on conçoit comme faisant partie intégrante de la composition scénique. La musique originale est composée par Hino Koshiro, du groupe japonais Goat. C’est une première collaboration. En février 2020, nous avons fait une session de travail à Toulouse pour confronter nos manières respectives de composer. J’ai ainsi pu comprendre ses préoccupations et cerner l’étendue de nos convergences. Il aurait dû être parmi nous l’automne dernier, il aurait dû être avec nous maintenant. Finalement, tout s’est fait à distance, covid oblige, mais il s’est montré extrêmement pro-actif et m’a fourni un matériel conséquent avec lequel nous avons pu composé. Ce sont Fanny Gaudin et Benjamin Vicq qui mixent les pistes séparées que Goat nous a envoyées après avoir enregistré les morceaux live dans un studio au Japon. On s’est retrouvé contraints à s’adapter à la situation, mais la collaboration s’est déroulée fluidement et sur une base de confiance mutuelle.

Extraits des propos recueillis par Laure Hirsig.

 

 

Without References est présenté avec les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis et la Fondation d’entreprise Hermès, dans le cadre de son programme New Settings.