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Magazine

20 janvier 2022
À lireEntretiens2021-2022

Prendre le texte dans sa brutalité

Entretien avec Laurent Sauvage autour de J'avais vingt ans...

Comment s’est faite la rencontre avec Aden Arabie de Paul Nizan ?

Laurent Sauvage : Par l’intermédiaire de Marianne Clévy, qui était alors directrice du festival Terre de paroles en Normandie. Elle m’a invité à faire une lecture publique d’un extrait pour le festival. Je connaissais vaguement Nizan et comme beaucoup, j’avais entendu cette fameuse première phrase du livre : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. »

J’ai trouvé cet extrait passionnant et j’ai lu l’intégralité du texte et eu immédiatement envie de le faire entendre. À tel point que pour une fois, moi qui fais peu de mises en scène - parce que j’ai du mal à entreprendre les démarches, si complexes, pour monter une production - j’ai pris mon téléphone dès le lendemain. J’ai alors fait des mises en voix, avec un batteur à mes côtés à Nantes au festival « Phoque » puis à Marseille où Hubert Colas m’a invité à Montevideo. Le projet est né ainsi.

Qu’est-ce qui a retenu votre attention dans ce texte qui est à la fois une autobiographie, un récit de voyage et un pamphlet ?

Je n’en ai gardé qu’une partie, à savoir principalement le début et la fin : une introduction où il parle de son état et de celui de la France et son analyse à son retour d’Arabie où il a voyagé pendant une année. Je traite peu du voyage en Arabie en lui-même mais du constat que Nizan établit au retour. Parti sur les traces de Rimbaud, il se rend compte qu’il y règne le même système capitaliste qu’en Europe. J’ai choisi la partie la plus politique du livre. Je voulais que le spectacle soit une forme courte et percutante.

C’est une parole très frontale, poétique et politique qui m’a touché immédiatement, à la fois descriptive et dénonciatrice du monde qu’il voit autour de lui : une critique du pouvoir et de l’homo economicus. Le texte est écrit en 1931 mais il me semble actuel et nécessaire. L’actionnariat, les rentes, l’hypocrisie des hommes au pouvoir, la corruption, le sentiment d’impuissance mais aussi le désir de possession, la domination des hommes sur les femmes, la place de la jeunesse dans la société… Il met des mots sur tout ça de façon construite et extrêmement pertinente. C’est un texte très vivifiant, un appel à ne pas subir, à se réveiller et à agir. En nommant des faits et des oppressions que l’on connaît mais que l’on oublie, il donne de la force, une envie de résistance.

"La priorité c’est qu’on entende ce texte comme un cri, un coup de poing. Il est déjà écrit comme ça. J’ai envie d’une performance physique et mentale, pour qu’à la fin le spectateur comme moi, soyons en nage intérieurement"
 

Quels sont les enjeux de votre mise en scène ?

J’aimerais une forme simple et radicale, entre la performance, le concert et le spectacle. Il y aura un batteur et moi sur scène. La priorité c’est qu’on entende ce texte comme un cri, un coup de poing. Il est déjà écrit comme ça. J’ai envie d’une performance physique et mentale, pour qu’à la fin le spectateur comme moi, soyons en nage intérieurement, intellectuellement et émotionnellement. Je voudrais qu’on en sorte en se disant : il faut que je fasse quelque chose de cette matière.

Comment abordez-vous l’interprétation du personnage de Nizan ?

Au début, je ne réfléchis jamais en termes d’incarnation, dans aucun de mes rôles. Je comprends intellectuellement la notion de personnage mais j’ai du mal à m’en emparer pour travailler. Ce qui m’importe c’est de faire entendre et ressentir le texte. Pour ce faire, je suis obligé de l’éprouver. Il faut qu’il me traverse. Je ne m’encombre pas forcément des écrits ou des commentaires sur l’œuvre. Je prends le texte dans sa brutalité, comme une poésie. Les mots m’émeuvent et constituent mon corps et ma pensée d’acteur. Ils me créent un regard, des émotions. La phrase me suffit. J’essaie de travailler les textes comme ça tout le temps. Ensuite seulement je me renseigne sur le contexte et je lis beaucoup. Sur scène, c’est le texte que je dis, au présent, chargé sans doute des réminiscences de ces lectures, mais sans chercher à être plus intelligent que les mots, sans les charger de ce qu’auraient commenter l’auteur ou les critiques. Je dis la phrase au présent, comment elle m’arrive et c’est ce qui va donner à penser.

"Je crois que ce qui fait bouger les lignes, ce sont les luttes parallèles, dans la société. Tous les droits acquis sont le fruit de luttes. Le texte est un appel à l’engagement, à la jeunesse mais plus largement à tout le monde."
 

Que dit ce texte à la jeunesse d’aujourd’hui ?

J’ai partagé le texte avec les élèves acteurs de l’école du Théâtre National de Strasbourg pendant trois semaines, en plein mouvement d’occupation, avec des forums où ils invitaient toutes sortes de gens. Il leur a parlé tout de suite. Ils ont des envies mais aussi des difficultés à les formuler, parce qu’ils manquent de repères, d’une parole politique saine et construite. Malgré son style et son appartenance à une autre génération, il me semble qu’Aden Arabie peut les éclairer. L’époque est difficile pour eux. Et cela ne date pas de la pandémie. Nizan parle d’une angoisse et d’une colère. Ces mots résonnent fort en ce moment. Il parle aussi de misère sentimentale, quelque chose de très vivement ressentie aujourd’hui.

Ce que Nizan incite à faire finalement, c’est à nous prendre en charge à côté des partis politiques. Je crois que ce qui fait bouger les lignes, ce sont les luttes parallèles, dans la société. Tous les droits acquis sont le fruit de luttes. Le texte est un appel à l’engagement, à la jeunesse mais plus largement à tout le monde. Il nous rappelle que les choses peuvent changer si nous le décidons. Et aussi que la vie passe vite. Il a ces mots magnifiques : « Vous n’aurez pas de ciel pour rattraper le temps. »

Propos recueillis par Olivia Burton en mai 2021

Crédit photo : © Alex Nollet