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Magazine

24 janvier 2018
À lireEntretiens2017-2018

Rencontre avec Mathilde Monnier

El Baile

Mathilde Monnier, vous créez, avec Alan Pauls un spectacle intitulé El Baile, d'après Le Bal que le Théâtre du Campagnol avait créé en 1982. Quand et comment avez-vous rencontré cette œuvre ?

Mathilde Monnier : Je n'ai pas vu Le Bal à l'époque où il a été joué, mais j'ai vu, bien sûr, le film d'Ettore Scola qui a beaucoup marqué les années 1980. Ce n'est qu'ensuite que j'ai vu une captation vidéo de la pièce. J'ai été étonnée de la pertinence du projet, de sa radicalité, de tout le travail qu'avaient fait les acteurs qui ne sont pas des danseurs professionnels mais qui dansent pendant presque une heure et demie ! La pièce est plus directe, un peu plus sombre que le film car moins esthétisée par le décor. Ce qui m'a plu, c'est aussi tout le processus collectif, politique, qu'il y avait autour du Bal : le hangar, les interviews des habitants du coin, ces comédiens qui parient sur le mouvement, sans texte. C'était une aventure que j'ai eu envie de reprendre, comme un palimpseste. J'ai voulu respecter le Bal, garder son côté rituel, cérémoniel, mais aussi le transgresser.

Quelle est la progression historique que vous entendez suivre dans El Baile ?

M.M. : El Baile part du milieu des années 1970. En 1976, c'est le début de la dictature des généraux. En 1978, l'Argentine organise et gagne la coupe du monde de football. Nous retraçons cette histoire à la fois condensée et courte de l'Argentine jusqu'à aujourd'hui.

Pendant la dictature, il y a très peu de musique. Les groupes se mettent en sourdine, à part la musique populaire comme Leonardo Favio, la musique patriotique, ou le tango de Gardel ou d'Osvaldo Pugliese.


En quoi la musique et la danse font-elles écho à cette histoire argentine ?

M.M. : Pendant la dictature, il y a très peu de musique. Les groupes se mettent en sourdine, à part la musique populaire comme Leonardo Favio, la musique patriotique, ou le tango de Gardel ou d'Osvaldo Pugliese. Cela explique pourquoi un chanteur de rock comme Charly Garcia, chante dans les années 70 "je suis un étranger" pour se définir lui-même comme un étranger dans sa patrie. À l'époque, ce qui est subversif par excellence, c'est le rock anglais, nous avons donc intégré des groupes comme Invisible ou Virus qui chantent en espagnol. Puis à la sortie de la dictature, les groupes argentins se mettent soudain à chanter en anglais. Les années Menem sont alors plutôt des années prospérité : ce sont la salsa, le disco, les danses de boîte de nuit et l'influence américaine qui s'affirment et font sentir combien l'Argentine était restée jusque-là un peu isolée au niveau musical. La période Kirchner a été une période plus sociale, avec de nombreuses réformes, mais sur fond de difficulté économique, avec deux marchés monétaires, une inflation galopante...

Ces danses là disent quelque chose des corps de chaque époque.
 

Le Bal était un spectacle de théâtre... dansé. En quoi El Baile s'affirme avant tout comme un spectacle de danse ?

M.M. : En fait, El baile est assez loin du Bal. Il n'y a plus ces personnages très identifiés qui existaient chez Penchenat et qui introduisaient quelque chose de narratif. Ensuite, le traitement fait à l'époque correspondait à une esthétique très illustrative qui reposait sur un imaginaire historique collectif. Dans El Baile, l'histoire est là tout le temps, mais pas forcément de façon toujours chronologique. La danse n'a pas pour but d'illustrer l'histoire, j'ai plutôt choisi de faire l'inverse : c'est par la danse que l'histoire va apparaître. Ce qui nous intéresse avec Alan, c'est comment la personne s'inscrit par son intimité dans cette histoire. Pas tellement la grande histoire en elle-même, mais comment cette histoire est surtout l'histoire des corps. C'est pour cela que je ne me suis pas tellement intéressée aux danses de salon, mais plutôt aux danses de rue : chacarera, cuarteto, cumbia, etc... toutes ces danses sont inscrites dans l'histoire et dans la géographie de l'Argentine. Le malambo, par exemple, est une danse gaucho très virile, qui se danse avec le bas du corps, avec des bottes, etc... il y a un côté très militaire, viril, démonstatif dans cette danse, conforme aux temps de la dictature. La chacarera est une danse des gauchos qui comprend l'utilisation de foulards. Et on retrouve ensuite ce foulard, que les femmes de Mai, durant la dictature, se mettent sur la tête. Ces gestes, liés les uns aux autres, ce sont eux dessinent l'histoire. Et les chaussures bien sûr : à chaque scène, les danseurs changent de chaussures, chacune pour une danse, chacune dans un rapport différent au corps, à la posture, à l'époque, et donc à l'histoire. Donc ces danses là disent quelque chose des corps de chaque époque. C'est comme ça que je veux traiter l'histoire. La pièce respire l'histoire, mais ne raconte pas l'histoire.

Comment avez-vous conçu les chorégraphies d'El Baile ? Là encore, Le Bal (notamment le film d'Ettore Scola) présentait surtout de la danse à deux, avec les jeux de séduction que cela suppose, le rapport entre les sexes, etc...

M.M. : Je n'ai pas voulu intégrer dans le spectacle cette question du rapport ou du clivage entre les sexes. D'ailleurs il y a peu de danse à deux dans le spectacle. Ce sont essentiellement des chorégraphies de groupe, mais avec des adresses différentes, sur lesquelles j'ai beaucoup travaillé. Certaines danses sont très adressées au public, très au bord du plateau, et invitent presque le public à monter sur scène, tandis qu'à d'autres moments, ces adresses se font entre eux.

Il assiste aussi aux répétitions et parle aux danseurs. Il leur raconte l'histoire de l'Argentine et leur demande d'aller chercher cette histoire en eux.


Le spectacle est cosigné avec le romancier argentin Alan Pauls : quel a été son rôle dans la construction du spectacle ?

M.M. : Ce spectacle, c'est aussi l'histoire d'une rencontre. J'avais lu Le facteur Borgès, qu'Alan Pauls a écrit il y a longtemps. C'est un livre qui est resté sur mon bureau pendant des années. Lorsque je suis arrivé à Buenos Aires, nous nous sommes rencontrés et j'ai eu l'impression de retrouver quelqu'un que j'avais connu toute ma vie ! Alan Pauls est quelqu'un d'assez radical, et ce qui a été tout de suite clair, c'est qu'il ne voulait pas être là pour m'aider à fabriquer une sorte de carte postale argentine, avec ses inévitables clichés... Il a d'abord écrit un synopsis qui nous sert de support de travail. C'est aussi lui qui a construit en partie la playlist. Mais il assiste aussi aux répétitions et parle aux danseurs. Il leur raconte l'histoire de l'Argentine et leur demande d'aller chercher cette histoire en eux. Alan Pauls s'intéresse à l'inscription du spectacle dans la réalité et l'histoire argentine. Nous prévoyons aussi qu'il écrive l'une des chansons du spectacle.

Pour la mise en scène, je me suis inspiré des club sociaux de Buenos Aires, qui sont des lieux de vie, des maisons de la culture en miniature.


La danse est très inscrite dans la sociabilité argentine, encore de nos jours... Quand on se promène à Buenos Aires, il n'est pas rare d'entendre de la musique et d'entrer dans un café où des couples dansent...à cinq heures de l'après midi !

M.M. : Pour la mise en scène, je me suis inspirée des club sociaux de Buenos Aires, qui sont des lieux de vie, des maisons de la culture en miniature, où l'on fait du sport, on lit, on joue aux cartes, on mange, et le soir il y a du tango. Ce sont des lieux très vivants où les générations se rencontrent et se mélangent. En Argentine, tout le monde danse le tango, petits et grands. On va dans les milongas comme au café. L'espace pour que ces corps s'expriment est là et il n'y a pas de formatage des corps. Ces danses permettent un métissage social, elles permettent une intégration qui n'a pas toujours lieu dans la société. Mais tous les corps dansent : petits, grands, gros, tout le monde a le droit de danser. Et les danseurs du spectacle connaissent à peu près toutes les danses populaires argentines. Ce patrimoine-là est extrêmement important. 

À ce propos, qui sont vos danseurs ?

M.M. : Ce sont surtout des danseurs jeunes, autour de la trentaine que nous avons choisis après plusieurs auditions à Buenos Aires. Certains ne sont jamais venus en Europe. Ils travaillent énormément en Argentine, parfois sans être tout à fait payés. Avec Alan Pauls, nous avions d'abord pensé choisir des gens de tous âges, des vieilles femmes, etc. Mais nous avons finalement considéré qu'il était très important que ce soit ces jeunes-là qui racontent l'histoire de leur pays.

Pourquoi ?

M.M. : Cette jeunesse, qui n'a pas connu la dictature, ne veut pas qu'on lui renvoie sans cesse cette époque. Cette génération joue l'amnésie peut-être, mais elle a aussi cette histoire inscrite dans sa famille et dans le corps. C'est eux l'Argentine de demain, tournée vers le futur. El baile, ce n'est pas une pièce sur la nostalgie, c'est une pièce d'aujourd'hui. Or, l'Argentine est un pays ou tout recommence. C'est la raison pour laquelle le spectacle comporte plusieurs débuts. L'Argentine se permet d'oublier ses difficultés, ses crises, ce qui fait que ces crises adviennent à nouveau. Le rapport à l'histoire en Argentine n'est pas du tout le même que celui qu'on a en France. En France on a le sens de l'histoire. En Argentine, l'histoire se vit comme un recommencement. Ce sont des boucles, des cycles. Les choses s'oublient. Et puis elles recommencent.

Entretien réalisé par Etienne Leterrier en mars 2017.