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Magazine

30 septembre 2019
À lireEntretiens2019-2020

Un conte que je n’ai jamais compris

Entretien avec Carole Thibaut

La question, cette fois, était donc de créer un spectacle tout public à partir de 7 ans sans faire de compromis avec mon univers, mon propos et mon écriture.


Quelle est la place de Variations amoureuses et de La Petite Fille qui disait non dans votre parcours d’autrice et de metteuse en scène ?

Variations amoureuses est le premier spectacle que j’ai créé à mon arrivée à la direction du Centre Dramatique National de Montluçon. J’avais fait le pari de pouvoir continuer à écrire en étant directrice de CDN et je voulais poursuivre un travail sur les relations amoureuses entamé dans deux spectacles précédents (Occident, de Rémi de Vos et Une Liaison contemporaine) en partant d’une pièce du XIXe qui met en scène l’impossibilité qu’il y a à dire cette relation : On ne badine pas avec l’amour de Musset.

Avec La Petite fille qui disait non, je voulais revenir à un spectacle tout public. J’en avais fait un quelques années plus tôt dont je n’étais pas contente. J’avais eu peur d’écrire un texte trop dur pour les enfants et je m’étais bridée. La question, cette fois, était donc de créer un spectacle tout public à partir de 7 ans sans faire de compromis avec mon univers, mon propos et mon écriture. J’ai réalisé alors que je parlais normalement à mes enfants et que je pouvais écrire de même pour des jeunes gens.

Je voulais travailler sur la question de la désobéissance, à partir d’un personnage de petite fille.


Quelle est la genèse de La Petite fille qui disait non ?

Je voulais travailler sur la question de la désobéissance, à partir d’un personnage de petite fille. J’ai repensé alors au Petit chaperon rouge, un conte que je n’ai jamais compris. Pour moi ce personnage du Chaperon rouge a toujours été la victime et l’idiote absolue ! Elle rencontre le loup, elle le suit, elle ne le reconnaît pas et elle se fait dévorer… De plus ce conte permettait de dire aux filles de rester chez elles, de ne pas parler aux messieurs, parce que c’était dangereux. Cela m’a toujours mise en colère. En faisant des recherches, en lisant notamment les écrits d’Yvonne Verdier, une ethnologue qui a travaillé dans les années 70 sur la tradition orale, j’ai découvert que le conte de Perrault est issu d’un conte matrimonial oral, le Conte de la mère-grand, une histoire de passation initiatique entre une toute jeune fille et sa grand-mère où précisément la petite fille ne se fait pas dévorer par le loup. Elle le reconnaît sous le déguisement de la grand-mère et lui échappe par sa ruse.

Il fait d’un conte puissant sur l’initiation, un conte moral pour l’éducation des jeunes filles et le divertissement de la cour. Donc la petite fille se fait manger par le loup parce qu’elle n’a pas obéi.


Au XVIIe siècle, Perrault collecte dans la campagne des contes mais édulcore tout ce qu’il ne comprend pas. Avec Le Petit chaperon rouge, il fait d’un conte puissant sur l’initiation, un conte moral pour l’éducation des jeunes filles et le divertissement de la cour. Donc la petite fille se fait manger par le loup parce qu’elle n’a pas obéi. De la même façon, dans d’autres contes, Perrault invente le prince charmant, un deus ex machina qui est en fait un hommage à Louis XIV.

Je fus sidérée par cette découverte, par cette mémoire effacée du matrimoine. Ce fut très stimulant. Je suis donc partie du tronc légendaire du conte qui est de l’ordre de la métaphore, essentielle au théâtre. Et ensuite il a fallu inventer les personnages, et les sculpter.

J’avais envie de faire dire quelque chose à Rosette sur l’altérité, sur l’immaturité de Camille et Perdican, sur leur incapacité à aimer l’autre, et à construire un monde.
 

En quoi a consisté le travail de réécriture pour Variations amoureuses ?

Dans On ne badine pas avec l’amour, je ne voulais retenir que les scènes entre Camille, Perdican et Rosette, pour resserrer la pièce sur le drame central. Mais en relisant le texte, il m’a semblé impossible de mettre en scène aujourd’hui le personnage de Rosette tel qu’il est écrit. Rosette n’est qu’une fille du peuple, un faire-valoir qui ne parle pas ou très peu. Musset était un aristocrate qui ne s’intéressait qu’aux personnages de Camille et Perdican, des jeunes gens bien nés, qui sont dans un rapport narcissique : ce n’est pas l’autre qu’ils aiment, c’est eux-mêmes. Comme George Sand et lui-même qui s’écrivent et passent leur temps à dire à l’autre de garder les lettres, en vue des livres à venir. A travers Camille et Perdican, Musset raconte son histoire avec George Sand. Malgré la beauté de ce qui est dit, la pièce me semblait trop éloignée de nous. Or j’écrivais en pleines élections présidentielles, avec la menace de l’accession de Marine Le Pen au pouvoir. J’avais envie de faire dire quelque chose à Rosette sur l’altérité, sur l’immaturité de Camille et Perdican, sur leur incapacité à aimer l’autre, et à construire un monde. Avec la jeune troupe permanente du CDN, j’ai pu travailler pendant huit mois à partir d’improvisations autour des relations amoureuses aujourd'hui, nourries par des micro-trottoirs et des questionnaires distribués à Montluçon. Nous y interrogions les gens sur leurs amours et leur sexualité. J’ai écrit au fur et à mesure à partir de tout cela.

Comment avez-vous travaillé avec ces jeunes comédiens ?

Pour le personnage de la petite fille, on a beaucoup travaillé sur le corps avec Marie Rousselle-Olivier. Au moment où j’ai écrit, ma fille avait l’âge du personnage. Marie venait à la maison le soir et observait ses positions et sa façon de bouger sans cesse. On a cherché aussi un regard qui exprime l’étonnement et la curiosité. Nous avons fait beaucoup d’improvisations en recherchant une interaction entre les corps et la scénographie. Cette façon de travailler, avec du temps, se voit au résultat : on a cousu sur les acteurs, comme un tailleur qui fait du sur mesure.

Dans Variations Amoureuses, la scénographie était déterminante. Ce dispositif de poutres, ce labyrinthe qui peut faire penser au parc de jeux de leur enfance, crée une tension entre les personnages. Ils sont toujours en jeu, tout le temps en train de se regarder. Ils ne peuvent pas aller facilement vers l’autre, ils doivent vraiment le décider. Je voulais que les corps soient très tenus sur ces poutres et que par moments ils lâchent.

Je suis féministe dans mon engagement de société et je trouve important de revendiquer ce terme mais je ne fais pas du théâtre militant.
 

Ce diptyque est-il un projet féministe ?

Je ne me définis pas comme une autrice féministe. Je suis féministe dans mon engagement de société et je trouve important de revendiquer ce terme mais je ne fais pas du théâtre militant. Ce qui m’intéresse, c’est la complexité, l’ambiguïté. Le personnage de Perdican me passionne autant que ceux des jeunes filles. Peut-être est-il un peu plus mystérieux pour moi et me séduit-il même plus, en raison de son altérité. Même chose pour le loup : j’ai un regard de tendresse envers lui, il m’émeut beaucoup. Les hommes me bouleversent. Ils ont beaucoup plus de facilités dans la société mais on les met à une place tellement centrale, qu’ils passent leur vie à courir après la reconnaissance et à être déçus, et en souffrance. En réalité, le féminisme traverse ce que je fais en tant qu’humanisme.

Propos recueillis par Olivia Burton en mars 2019.