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Magazine

3 février 2020
À lireEntretiens2019-2020

Une enquête poétique

Entretien avec Sandra Iché

Le décalage idéologique entre votre entourage et vous-même, que vous évoquez dans Droite-Gauche, est-il à l’origine de la pièce ? 

Oui, j’ai fait l’expérience de construire et de me retrouver prise - c’est à la fois actif et passif comme phénomène, je pense - dans des convictions ou des manières de faire, des manières de regarder le monde et d’avoir envie d’agir dessus, en décalage avec celles de mon environnement premier, celles que les personnes de mon environnement familial, avaient apprises de leur côté. Il y a ce qui nous arrive dans la sphère privée et puis ce qui arrive dans l’espace public, ce que l’on croise dans la rue, ce que l’on entend à la télévision. À un moment, tout cela a été conflictuel pour moi et, il y a trois ou quatre ans, je me suis activée sur cette question avec l’envie de construire une réflexion autour de ce décalage pour le comprendre. En me disant qu’en le comprenant, on arrivera non plus à camper sur nos positions mais - comprendre cela veut dire déplier tous les tenants et les aboutissants de ces différentes positions et pourquoi on les tient - prendre conscience des difficultés et les assumer, en quelque sorte.

"Mes outils sont l’enquête sociologique, l’enquête historique ou l’enquête poétique."


Ce qui vous a amenée alors à explorer le sens profond des concepts de « droite » et de « gauche »... 

Mes outils sont l’enquête sociologique, l’enquête historique ou l’enquête poétique. Je me suis lancée là-dedans avec l’envie de prendre ce premier décalage qui est le mien et de le minimiser, d’en faire un épiphénomène et d’élargir la réflexion à d’autres trajectoires. À chaque spectacle, que ce soit Wagons libres ou Variations orientalistes, cela part d’une question que je vis. Mais j’essaye de ne pas tourner autour de mon nombril, de voir comment cette difficulté ou ce problème, cette question, existent ailleurs, comment cela est vécu, traversé ailleurs. 

On suit, dans le spectacle, une enquête généalogique menée sur votre propre famille. 

En s’interrogeant sur le fil d’enquête selon lequel on allait pouvoir approcher de cet écart entre les positions familiales et celles que moi j’ai apprises à tenir à l’adolescence et plus tard, plusieurs axes sont apparus. D’abord, effectivement, les « gros mots » - ces mots très lourds - qui nous servent à désigner nos positions, c’est à dire « droite » et « gauche ». Mots qu’on a essayés d’historiciser et de contextualiser. Puis, en cherchant pourquoi et comment se sont fondées et forgées mes positions et celles des miens, a émergé le besoin de cette enquête généalogique. Pour moi, elle vient directement alimenter la question de ce que sont « droite » et « gauche ». D’autant que j’ai découvert que ce que le récit officiel de la famille vivait comme un éthos éternel, comme si être de droite c’était naturel ou comme si être français aussi c’était naturel, s’avérait dans leur histoire beaucoup plus complexe : cela n’a pas été ainsi de tout temps, des membres de la famille ont eu d’autres sensibilités politiques et cet éthos français ou cette manière de se sentir français à cent pour cent, cela aussi c’était une construction historique. 

Vous découvrez alors votre ascendance judéo-algérienne. 

Je découvre au fil de l’enquête que là où il y a toujours eu un flou dans la manière dont ma famille se raconte, concernant tous ces ancêtres aux noms et prénoms à consonance judéo-algérienne, que ce sont effectivement des judéo-algériens ayant vécu sur le territoire algérien avant la colonisation française. Donc cela n’est pas non plus une histoire de pieds-noirs mais des destins d’autochtones - même si évidemment ils sont venus d’ailleurs auparavant.

L’enquête généalogique est une réaction au storytelling familial ? Y a-t-il eu des révélations pour vous ou pour votre famille lors de cette enquête ? 

Cela n’était pas tant un storytelling mais plutôt du flou. Je ne crois pas qu’ils aient consciemment ou inconsciemment cherché à maquiller la réalité. Il s’agirait plutôt d’un récit pas très stable, chacun ayant sa version, avec plein de trous partout, des hésitations. Un flou. Est-ce que ce que l’on a trouvé en archives constituent des révélations ? Je n’irais pas jusque-là mais ce sont effectivement des clarifications. Puisque tout à coup on met des dates, on met des lieux, on met des prénoms, donc le flou s’incarne et se précise. Après, personnellement, je suis très sensible à la remise en perspective historique de qui on est et ce qu’on fait. Mais je pense qu’il y a des personnes qui y sont moins sensibles, voire pour qui cela est un peu vain, il n’y a pas forcément d’enjeu pour elles. Moi, je ne sais pas pourquoi d’ailleurs, c’est quelque chose qui m’anime, me rend curieuse, qui me relie de manière plus riche et plus complexe à un monde plus vaste.

"Cette figure de « l’arabe » en France s’infiltrait dans ma famille, dans les dîners et les conversations et cela n’a jamais été une figure très positivement décrite. Cela a constitué pour moi comme un gros point d’interrogation"


L’Orient était déjà présent côté Maschrek dans vos spectacles précédents avant que vous ne réalisiez, en créant Droite-Gauche, ce lien familial du côté du Maghreb : votre prisme oriental était-il dû à un hasard ? Une intuition ? 

Je ne sais pas. Peut-être, oui, s’agit-il d’une intuition, fondée sur des indices. Je pense à plein de petites explications dans le sens où, par exemple, la figure de « l’arabe » dans la famille, cette figure telle qu’on peut la vivre en France - à une époque c’était le discours sur les ouvriers venus au moment du plein emploi des années 60-70 et puis, après, les générations qui se sont succédées et puis la précarisation, les banlieues, maintenant c’est un peu plus teinté d’islam - cette figure de « l’arabe » en France s’infiltrait dans ma famille, dans les dîners et les conversations et cela n’a jamais été une figure très positivement décrite. Je pense que cela a constitué pour moi comme un gros point d’interrogation et a peut-être guidé certaines décisions d’aller y voir ailleurs, de plus près. D’autre part, pour beaucoup de personnes de ma génération qui ont commencé à se politiser à dix-huit, vingt ans, la question palestinienne arrive d’une manière ou d’une autre. Cela a été le cas pour moi, et, de la même façon, cela venait se heurter aux positions dominantes dans ma famille. Puis les choses se sont enchaînées, la vie a fait que je me suis lancée dans différentes activités dans le monde arabe, une maîtrise d’Histoire au Liban et des voyages militants en Palestine.

"Le théâtre c’est aussi le lieu de la re-présentation, le mot est formé comme cela, donc c’est censé être le lieu où l’on refait le réel, où l’on refait la vie. Pas par la fiction mais par des alternatives."


Les thèmes que vous traitez dans vos spectacles pourraient donner lieu à des fictions mais vous privilégiez une forme de théâtre documentaire. Où se situent vos envies de théâtre ? 

Ce qu’il y a de plus fictionnel dans Droite-Gauche c’est la partition de Virginie Colemyn (comédienne du spectacle - ndlr). Mais c’est autre chose qu’une fiction, c’est la construction d’un mensonge, d’un délire qui lui sert à s’amplifier. C’est : « ce qu’elle aurait pu être ». C’est un prolongement documentaire pour moi, c’est-à-dire qu’en inventant partiellement son personnage, elle documente ses propres ambitions, ses propres contradictions, ses propres fantasmes donc c’est un élargissement, c’est créer de la fiction pour mieux documenter, en l’occurrence, la trajectoire de Virginie. Après, sur mes envies de théâtre, il y aurait plein de choses à dire sur le travail en équipe, le travail collectif mais sur le théâtre proprement dit, pour moi, l’enjeu, dans un monde où il y a de plus en plus une forme de gestion administrative, managériale de qui on est, de comment on vit, où on nous demande de répondre à des formulaires, de répondre à des catégories, c’est que le théâtre c’est aussi le lieu de la re-présentation, le mot est formé comme cela, donc c’est censé être le lieu où l’on refait le réel, où l’on refait la vie. Pas par la fiction mais par des alternatives. 

Ce qui vous importe c’est de déjouer certains déterminismes. 

C’est peut-être la danse qui m’influence. Par rapport à une conception classique du théâtre où il y aurait un personnage, qui vient de quelque part, qui a un projet, qui va accomplir ce projet dans le cadre de la pièce théâtrale, tout est déjà cousu, il y a un début, un milieu, une fin. Pour moi, c’est important de ne pas faire cela et travailler depuis l’intérieur du théâtre à trouer la représentation, à désobéir aux catégories, à désobéir aux identités, à désobéir à, comme ils disent maintenant quand on va à Pôle Emploi : « quel est votre projet professionnel ? », « quel est votre projet de vie ? » Désobéir à la fatalité et à l’enfermement projective des trajectoires. Ruser pour contrer ces pratiques mortifères. 

Propos recueillis par Tony Abdo-Hanna, le 3 mai 2019