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Magazine

17 octobre 2022
À lireEntretiens2022-2023

Une fiction de personnages-fantômes

Entretien avec Joris Lacoste autour de Suite N°4

Quelle place occupe Suite n°4 dans le corpus de L’Encyclopédie de la parole ?

Cette pièce est l’aboutissement d’un très long processus. Depuis 2007, l’Encyclopédie de la parole collectionne des enregistrements de parole de toute sorte, classés et répertoriés en fonction de leur forme. Ces dernières années, nous avons réalisé plusieurs spectacles reposant sur un principe simple : demander aux interprètes de reproduire le plus fidèlement possible une composition d’enregistrements choisis au sein de cette collection. Pour Suite n°4, qui conclut toute une série, nous avons eu envie de faire entendre enfin le matériau qui jusque-là nous servait de source ou de partition : les enregistrements de parole eux-mêmes, avec leurs voix propres, leur mélodie, leur timbre, leur souffle particulier. Comme si, après tous ces spectacles où nous avions emprunté les voix de dizaines de personnages, le geste de leur rendre la parole s’imposait. 

En quoi Suite n°4 relève du théâtre et non du concert ou de l’installation sonore ?

Il est évidemment paradoxal d’essayer de faire un spectacle de théâtre qui se passerait de son élément le plus constitutif, à savoir la présence physique des interprètes. Mais c’est un défi très excitant ! D’un côté, on perd l’immédiateté du face à face acteurs/spectateurs ; d’un autre, on gagne un type de présence inouï, puisque les voix qui viennent se succéder sur scène font entendre un degré de réalité qui est normalement impossible au théâtre : ce sont en quelque sorte les personnages réels qui viennent nous parler. C’est tout l’enjeu de Suite n°4 : que ce qui est en réalité un concert (puisque les seules présences physiques sont les sept musiciens d’Ictus dans la fosse) soit reçu et vécu comme une pièce de théâtre. Cela passe par une certaine manière de surjouer les codes théâtraux classiques, par exemple le découpage en actes, la scénographie, un certain usage de l’espace et de la lumière. Cela passe surtout par une fictionnalisation, voire une dramatisation des réalités contenues dans les enregistrements. En somme, nous avons essayé de conserver et de travailler la relation spécifique qui est celle du théâtre, mais avec des fantômes à la place des acteurs. Une voix enregistrée est toujours, au fond, un fantôme qui revient nous parler au présent : c’est le pouvoir propre de l’enregistrement que de redonner vie à des voix du passé.

Comment avez-vous travaillé avec Pierre-Yves Macé et Sébastien Roux, notamment pour définir l’équilibre entre les enregistrements et la musique ? 

Sébastien s’est occupé de la composition électro-acoustique, c’est à dire que son travail a consisté à agencer, à monter, à placer, à faire résonner les voix dans l’espace acoustique, en traitant leur dimension purement concrète, jusqu’à leur désintégration. Pierre-Yves, de son côté, a composé la musique instrumentale jouée par les sept musiciens d’Ictus. D’une certaine manière, on peut dire que la musique live joue ici le rôle du corps manquant : elle fait acte à la fois d’invocation et d’incarnation, elle est ce qui appelle les corps et les soutient. Son apparition est progressive, elle entre d’abord de façon ponctuelle, pour appuyer, soutenir ou révéler tel ou tel paramètre de la parole, un rythme, une mélodie, des répétitions de motifs. Puis elle prend de plus en plus de place, elle habille toutes les paroles, elle les articule, les appuie, les déforme, tout cela avec des styles, des stratégies très variées. Au milieu du spectacle il y a comme un basculement : la musique prend les devants et tisse une continuité, un flux dont la parole n’est plus qu’un élément parmi d’autres. Nous voulions que la pièce soit comme une traversée, une trajectoire : on part du théâtre pour aller vers le concert, on commence avec des fictions de personnages-fantômes que l’on peut imaginer sur la scène, et on finit dans un espace mental de voix intérieures. Un lieu où musique et parole sont strictement égales, procèdent du même désir, du même mouvement. Plus de second plan, de commentaire, d’ironie, de recadrage : à la fin musique et parole avancent ensemble, intrinsèquement.

Quelle est la place de la narration, voire de la fiction, dans Suite n°4 ?

Contre toute apparence, je pense que la pièce raconte une histoire, certes pas vraiment linéaire ou continue, mais c’est ainsi que je reçois les paroles qui nous entourent : moins dans la succession que dans la superposition, le zigzag, la disjonction, la multi-dimension. Raconter une histoire faite de ces multiples histoires consiste à trouver des moyens de faire tenir ensemble des paroles, des registres, des situations très diverses : c’est un processus d’harmonisation des différences. Ce que ça raconte, peut-être, c’est moins le monde lui-même que la manière fragmentée et médiatisée dont nous l’expérimentons.

Entretien réalisé par Vincent Théval en septembre 2022 pour le Festival d'Automne à Paris.