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Magazine

30 octobre 2019
À lireEntretiens2019-2020

Une ronde frénétique de passions contrariées

Entretien avec Jean-René Lemoine

Après avoir écrit, joué et mis en scène deux monologues, Face à la mère puis Médée, poème enragé, vous revenez à une pièce dialoguée pour cinq actrices et un acteur, pourquoi ce choix ?

Je ne voulais pas que l’écriture du monologue devienne une zone de confort. Je ne voulais pas « vivre de mes rentes », comme on dit en italien, mais plutôt me mettre en danger à nouveau. Par ailleurs,  je ne ressentais plus le désir d’être présent sur le plateau comme interprète. Je voulais me confronter à une forme chorale qui me séduit aussi. Je suis autant attaché à la musique de chambre – que représente pour moi le monologue, qu'à une composition plus symphonique, j'aime cette alternance des formes qui me permet d'aborder des sujets très divers en utilisant toutes les nuances possibles de l’expression – même si finalement je raconte toujours la même histoire, j’ai toujours la même interrogation sur l’existence. Dans Vents contraires j’avais envie de mêler tragédie et comédie, de les mettre en miroir, de les malaxer pour construire une architecture plus éclatée.

"Dans Vents contraires j’avais envie de mêler tragédie et comédie, de les mettre en miroir, de les malaxer pour construire une architecture plus éclatée."


Vous faites référence à Tchekhov qui intitulait souvent ses pièces « comédies » alors que le tragique y affleure constamment ?

Tchekhov est un maître génial qui fait exploser aux yeux des spectateurs, d'une façon magistrale, la réalité de l'existence humaine dans laquelle comédie et tragédie sont intimement liées. Je ne sais pas ce qu’il mettait en œuvre pour arriver à ce résultat qui me fascine. Ses personnages vivent parfois des situations tragiques dans une sorte de stase, une soustraction émotionnelle, et tout à coup, ils s’effondrent parce qu’ils ont cassé une soucoupe. Ces contradictions, ces lignes de tensions, rendent ses pièces bouleversantes. La comédie s'impose parfois à moi comme une évidence, une nécessité, dans la construction de la pièce que je suis en train d'écrire. Mais, au fond, je ne cherche pourtant pas le comique à tout prix, il arrive de lui-même, c’est le cas dans Vents contraires. Il est le résultat de ce que je convoque de mes expériences, de mes observations personnelles, passées ou présentes. Et je ne pense pas qu'on puisse résumer la pièce en disant : « c'est une comédie ».

"C'est une ronde frénétique de passions contrariées."


Comment pouvez-vous la présenter ?

C'est une ronde frénétique de passions contrariées, celles de couples qui se font et se défont, une succession de situations le plus souvent tragiques traversées par instants par un comique dévastateur. Ces récits de pathologie amoureuse avancent par glissements successifs, au gré de surprises et de rebondissements soudains qui amènent tantôt l’effroi, tantôt le rire. J’ai tenté, dans le processus d’écriture, de jeter les personnages dans cette drôlerie paradoxale, dans ce ridicule, qui traverse si souvent les situations amoureuses les plus violentes et désespérées.

Votre « ronde des passions » met en jeu cinq personnages féminins et un personnage masculin. C'est une volonté de privilégier les actrices ?

La pièce a été écrite initialement pour un groupe d'élèves d'une école de théâtre, composé de cinq filles et d'un garçon. C’est donc la commande qui a imposé cette construction. Mais il n'y a sans doute pas de hasard : cette contrainte me convenait parfaitement, elle me permettait de poursuivre l'exploration des personnages féminins qui sont si souvent les moteurs de mes pièces. Il y a encore un très grand espace inexploré dans le répertoire théâtral, celui de personnages féminins protagonistes. Ce n'est pas pour moi un combat féministe, ce n’est pas pour être dans l'air du temps, j’aime tout simplement écrire des personnages féminins, ils me viennent très naturellement, c’est peut-être le désir de laisser surgir de ce qu'il y a de féminin en moi, d’en creuser les multiples facettes.

"C’est à lui qu’est dévolue la dimension érotique qui caractérise si souvent les personnage féminins dans les dramaturgies cinématographiques ou théâtrales."


Est-ce trop caricatural de dire que votre personnage masculin est un « homme objet » ?

C’est un personnage d’une grande complexité. Au début de la pièce, on peut effectivement dire qu'il est un homme objet - objet tour à tour de répulsion et de désir. C’est à lui qu’est dévolue la dimension érotique qui caractérise si souvent les personnage féminins dans les dramaturgies cinématographiques ou théâtrales. Mais il ne se réduit pas à cela. Il passe progressivement d’objet à sujet et dans un retournement brutal, il se révèle douloureusement à lui même et devient alors - dans un  grand désarroi - protagoniste de l’histoire.

"Ce qui m'intéresse c'est le surgissement, la panique, la sauvagerie du désir qui submerge, ravit, désagrège les personnages"


Cette « ronde des passions » n'est-elle pas plus une ronde des désirs multiples qu'une ronde des amours ?

Oui, on peut la définir ainsi. Je ne choisis pas la nature des désirs qui vont animer mes personnages. Ce sont eux qui m'entraînent dans leur mouvement, m’imposent les choix qu'ils font ou qui s'imposent à eux. Dans cette ronde, une femme désire un homme ; puis deux femmes se quittent, deux autres se désirent, mais ce n’est pas une pièce sur la « diversité « de l’amour. Il m’importe peu que cet amour soit hétérosexuel ou homosexuel. C’est pour moi un non-événement. Ce qui m'intéresse c'est le surgissement, la panique, la sauvagerie du désir qui submerge, ravit, désagrège les personnages, quelle que soit leur orientation sexuelle. De ce point de vue, je serais plutôt du côté de l'effroi racinien…

"Dans Vents contraires, tous ces désirs, poussés à leur paroxysme, ne sont que la métaphore, l'écume sanglante de la société, du monde dans lequel évoluent les protagonistes."


Amours et désamours surgissent également…

Encore une fois, soustrayons le mot « amour »  et gardons le mot « désir ». C'est le paroxysme du désir et le paroxysme de l'effacement de ce même désir qui m’intéressent. Il y a une symétrie dans la violence du désir et dans la violence du rejet. Dans « l’inamoramento » (dans le fait d’être amoureux), il y a tous les symptômes de la maladie : le manque, la fièvre, la chute. Il y a la création, l’invention de l’autre, comme un film qu’on se projette à soi-même. L’offrande qu’on fait de soi à l’autre est le plus souvent une appropriation, une dévoration de l’autre. Et quand la relation s'effondre, c’est comme l’incendie de la pellicule du film qu'on s’était fabriqué. Il y a une surdité furieuse chez celui qui est abandonné. Mais il faut noter que dans Vents contraires, tous ces désirs, poussés à leur paroxysme, ne sont que la métaphore, l'écume sanglante de la société, du monde dans lequel évoluent les protagonistes. En réalité, la pièce parle beaucoup plus d'argent, de possession, que d’amour…

Vos personnages sont très inscrits dans le fonctionnement du monde marchand qui nous entoure ?

Oui car avec eux on traverse différents milieux sociaux, selon les personnages. L’un a une grande aisance financière, l’autre est volontairement plus précaire. Un autre encore a connu une gloire éphémère et est dévoré par le manque, la frustration du déclassement, le désir de revanche. L’argent est sans cesse présent.

Le thème de la beauté est aussi très présent dans votre pièce…

J'ai toujours eu un souci esthétique qui n'est pas forcément dans l'air du temps. Le texte est violent, d’une brutalité frontale, je voulais créer un contrepoint d'élégance et de beauté. En outre, la pièce parle aussi de la mode, de l’architecture du vêtement, de la dictature de l’apparence. La mode (plus précisément le luxe) est pour moi le symbole par excellence de la société dans laquelle nous sommes. La mode est une illusion, presqu’une hallucination. Et aussi un marché. Le prix n'y a plus aucun rapport avec la réelle valeur de l'objet désiré. La beauté (à commencer par celle des corps) y est exaltée, survalorisée, imposée. Cela aussi m’intéressait, comme métaphore d’une société contemporaine.

Le titre de votre pièce vient d'une chanson de Mylène Farmer….

Encore une fois, il n'y a pas eu préméditation de ma part. Les personnages avaient envie de chanter et la chanson de Mylène Farmer, Désenchantée, s'est imposée. Dans l'immédiateté de sa forme, elle m’est apparue tout à fait à sa place, apparaissant à plusieurs reprises, a cappella, comme un intermède mélancolique et doux. Et une phrase de cette chanson : Dans ces vents contraires comment s’y prendre ? a engendré le titre.

Propops recueillis par Jean-François Perrier en avril 2019.