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Magazine

6 décembre 2023
À lireEntretiens2023-2024

De l'intime au politique

Entretien avec Marc Lainé autour du diptyque Liliane & Paul

Quelle était votre motivation au départ de ce projet de diptyque ?

C’est toujours mystérieux, l’origine d’un projet. Pour Nos paysages mineurs, tout est parti d’un décor de train des années 60 que j’avais conçu pour un autre spectacle, intitulé Nosztalgia Express. Au moment où ce décor allait être détruit, j’ai eu une sorte de fulgurance : raconter l’histoire d’un couple dans les années 60-70, à plusieurs moments-clés de son histoire, le temps d’un trajet en train, sans que les deux personnages ne quittent jamais le compartiment voyageur où ils se sont rencontrés. Et, sans me le formuler clairement, pour écrire cette pièce, je me suis inspiré en partie de la vie de mes parents. Mais la mise en récit que j’opère en fait une véritable fiction et Liliane et Paul sont bel et bien deux personnages imaginaires ! Néanmoins, si j’ai éprouvé le besoin de questionner l’histoire de mes parents, c’est sans doute pour découvrir comment elle résonnait avec la mienne, comment le contexte politique de leur époque résonnait avec le nôtre.

Je suis parti de l’intime pour aller vers le politique. Les deux acteurs Adeline Guillot et Vladislav Galard se sont emparés des personnages de Liliane et Paul avec une vérité saisissante, tant et si bien que l’envie d’écrire une suite, intitulée (avec une certaine ironie) En finir avec leur histoire, s’est imposée à nous avec évidence. Nous avions envie de les retrouver pour savoir ce qu’ils étaient devenus. J’avais pour modèle la série de films que Truffaut a tourné pour raconter la vie de son merveilleux personnage Antoine Doinel.

« Traverser la période 68-75, c’est saisir une lutte politique à son acmé et assister à sa lente désagrégation. Et mon idée est de superposer cette trajectoire politique à la trajectoire amoureuse de ce couple, qui connaît lui aussi une série de désillusions. »

Nos paysages mineurs se situe dans les années post 68, qu’est-ce qui vous intéresse dans le contexte politique de cette époque ?

Toutes les questions qui nous occupent aujourd'hui ont été abordées par la génération de 68. Notamment l'émancipation des femmes et la mise en crise du patriarcat qui sont au cœur de mon projet. Les réponses des féministes de l’époque étaient évidemment différentes de celles de la génération qui vient, mais elles permettent d’éclairer le combat actuel. Traverser la période 68-75, c’est saisir une lutte politique à son acmé et assister à sa lente désagrégation. Et mon idée est de superposer cette trajectoire politique à la trajectoire amoureuse de ce couple, qui connaît lui aussi une série de désillusions. Comment on passe de l'engagement de 68 au no future punk de 75-77, c'est aussi ce que raconte Nos paysages mineurs, par le biais de l’intime. 

En finir avec leur histoire se déroule en 1992, seize ans après la fin de ce premier volet.

1992 est un année charnière. Elle marque véritablement la fin du bloc de l’Est et, avec lui, des utopies socialistes. J'aurais bien sûr pu choisir l’année 89 et la chute du Mur de Berlin, un choc historique qui a marqué ma génération (j’avais 13 ans en novembre 89). Mais 92, c’est l’année où l’on prend conscience des conséquences de ce choc. L’URSS a fini de se décomposer et Eltsine prend le pouvoir, les anciens États socialistes intègrent l'économie de marché et Francis Fukuyama sort son fameux livre La fin de l'Histoire - qui a inspiré le titre de ma pièce – texte dans lequel il annonce que les démocraties libérales ont remporté définitivement la bataille idéologique. 

Un des enjeux de la pièce est de tenter de percevoir quels effets ont pu avoir ces grands bouleversements politiques et géopolitiques sur les vies et les esprits du peuple de gauche, dont Liliane et Paul font partie. Comment leurs engagements, leurs convictions, leurs désirs et leurs amours même s’en sont trouvés altérés.

J’ai choisi 92 car c’est aussi cette année-là que se forme ma conscience politique. Je fais partie d'une génération qui a développé une forme de méfiance envers tout discours idéologique et donc toute forme d’engagement politique, et qui, par conséquent, est restée un peu à côté de l'action nécessaire pour faire que le monde aille mieux. J’en fais le constat sans culpabilité, mais quand je me compare à la jeunesse actuelle, je me dis qu’il m’a fallu trente ans pour me réveiller.

L’enfant né du couple Paul-Liliane s’avère un choix lourd de conséquences.

L’utopie communiste a été au centre de la vie de mes deux personnages. Comme je le fais dire à Paul dans Nos paysages mineurs, leur « histoire d’amour devait être une révolution ». Au moment où on les retrouve, leurs illusions se sont effondrées et la question qui se pose est : que reste-t-il de leurs rêves politiques, comme de leur amour ? Qu’est-ce qui, malgré tout, résiste ? Et peut-être que la réponse est à chercher du côté du personnage de Martin, qui est l’enfant que Liliane et Paul ont eu six mois après leur séparation et qu’ils ont malgré tout décidé de garder. Seize ans après, au cours d’une déambulation nocturne dans les rues de Paris, ils vont essayer de comprendre ce choix, de nommer ce que celui-ci a scellé de leur amour mais aussi tout ce qu’il a rendu impossible.

« Paul écrit un livre sur son histoire avec Liliane et cette dernière se retrouve doublement prisonnière, d’abord du modèle patriarcal qu’il impose à leur couple, mais aussi de cette représentation fictionnelle d’elle-même. »

La création littéraire est un enjeu majeur qui traverse le diptyque.

Oui. Mes deux personnages sont des écrivains ou aspirent à le devenir. Ils racontent leurs vies dans leurs textes et ils se retrouvent parfois pris au piège de leurs propres fictions. Dans Nos paysages mineurs, Paul écrit un livre sur son histoire avec Liliane et cette dernière se retrouve doublement prisonnière, d’abord du modèle patriarcal qu’il impose à leur couple, mais aussi de cette représentation fictionnelle d’elle-même dans un roman qui connait un grand succès en librairie. Pour s’échapper, elle doit quitter Paul mais aussi opposer à la fiction du « grand écrivain » son propre récit, coucher par écrit sa version de l’histoire, affirmer avec ses propres mots le rapport singulier qu’elle entretient avec le monde. Dans En finir avec leur histoire, on apprend que le livre de Liliane n’a finalement jamais été publié. Son roman est resté dans les limbes de la littérature, mais elle a eu un enfant avec Paul. Elle a fait le choix de sacrifier ses ambitions littéraires pour élever leur enfant. C’est une problématique qui reste, là aussi malheureusement, d’actualité : la maternité pour les femmes peut encore aujourd’hui remettre en question tout accomplissement professionnel. Dans le deuxième volet, on découvre aussi que Paul est un écrivain raté en pleine dépression. La pièce commence avec son projet délirant de recommencer son histoire d’amour avec Liliane et ainsi de donner une suite au roman qui lui avait fait connaître la gloire seize ans auparavant, en nourrissant l’espoir insensé de renouer avec le succès. Évidemment, Liliane ne va pas tomber dans ce nouveau piège, mais ça va leur donner l’occasion de retraverser leurs vies et leurs choix respectifs.

Prévoyez-vous une suite à ces deux premiers volets de ce Cycle Liliane et Paul ?

Oui, le personnage de Martin Langlois qui apparaît à la fin du deuxième volet, et qui est une sorte de double fictionnel de moi-même, va revenir dans ma prochaine pièce, où il aura la quarantaine et sera devenu auteur-metteur en scène. La question de l'écriture et des troubles entre fiction et réalité sera encore au cœur du projet car tous ces personnages sont des écrivains qui finissent par confondre leurs vies avec les histoires qu’ils inventent.

Propos recueillis par Tony Abdo-Hanna, en avril 2023.