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Magazine

6 décembre 2023
À lireEntretiens2023-2024

L'essentiel dans le fatras du monde

Entretien avec Didier Ruiz autour de Mon amour

Comment Mon Amour se situe-t-il dans votre parcours de metteur en scène ?

Il vient après une série de trois spectacles – Une longue peine, Trans, Que faut-il dire aux Hommes ? – menés selon le principe de la parole accompagnée, avec des personnes qui ne sont pas des comédiens professionnels, et portant sur des sujets sociétaux qui interrogent respectivement la liberté, le genre et la spiritualité. Avec Mon amour, je reviens au texte et aux comédiens tout en introduisant une petite dose de parole accompagnée. À chaque représentation, un non-comédien vient suspendre le déroulement de l’histoire et parler de son travail et de son rapport à la mort. C’est la première fois que je fais ce mélange entre réalité et fiction et j’aime le trouble que cela peut créer. C’est donc un spectacle hybride qui clôt peut-être un cycle de création.

Vous montez peu de textes de théâtre. Pourquoi ?

C’est une question de format et de langue dans lesquels je ne me retrouve jamais. Bien sûr il m’arrive d’être séduit par un texte mais j’ai toujours envie de couper ou de modifier des choses. Pourquoi prendre un texte si c’est pour le défigurer ? Il faudrait écrire mais je ne sais pas le faire. L’écriture de théâtre est trop souvent liée pour moi à des références historico-culturelles que je trouve pesantes. Ne pas utiliser de texte me donne une liberté d’inventer un théâtre qui est autre, me semble-t-il. Donc quand je pars d’un texte, soit je prends un texte épistolaire ou un roman que j’adapte ; soit je le fais faire sur mesure. D’où le principe de la commande d’écriture. 

« Le projet est né de ce désir d’être au plus près de l’évènement, dans ces moments où peu de choses se disent dans la vraie vie, mais où comptent surtout les temps, les regards, les soupirs. »

Comment avez-vous choisi Nathalie Bitan pour cette commande d’écriture ?

C’est une histoire de complicité théâtrale depuis vingt ans. Nous avons été partenaires de jeu et je l’ai mise en scène dans plusieurs spectacles. En vérité, c’est plus qu’une commande. L’idée est née au moment où Nathalie a perdu sa mère. Nous étions alors en répétition de Polar grenadine et je suivais l’évolution de la situation jour après jour. J’ai eu alors envie de parler de la mort des proches, de ce qui se passe à ce moment-là, de ce qui est dit, de ce qui est tu, de l’amour qui se manifeste ou pas. Ce déclencheur s'inscrit dans une longue chaîne d’événements qui ont parcouru ma vie, et de rencontres que j’ai pu faire, qui tous témoignent d’un certain déni de la mort. Le projet est né de ce désir d’être au plus près de l’évènement, dans ces moments où peu de choses se disent dans la vraie vie, mais où comptent surtout les temps, les regards, les soupirs.

Enfin, j’aime la grande fantaisie de son écriture, son humour latin, dont je suis très proche. Son père vient d’Algérie. Nous partageons la culture d’un sud rêvé – Nathalie n’y a jamais vécu et moi je n’y vis plus depuis très longtemps. La distribution a été faite après l’écriture mais les comédiens se sont très vite approprié le texte, ils s’y sentent très bien. Et j’ai grand plaisir à entendre ces mots comme s’ils sortaient spontanément de leur bouche. 

Que cherchiez-vous en réunissant fiction et réalité ?

Mon point de départ, c’était les Dossiers de l’écran, cette émission de télévision qui faisait suivre un film d’un débat entre experts. J’adorais ça parce que les échanges éclairaient le film, faisaient réfléchir et apprendre des tas de choses. Dans Mon amour, il s’agit de faire coexister deux matières différentes. On appuie sur pause dans le déroulé de l’histoire, arrive alors quelqu’un qui nous parle de lui et de ce qu’il fait. La personne s’en va, on lâche la pause et on reprend l’histoire. Certains spectateurs ne voient pas que c’est la réalité qui fait intrusion. D’autres le comprennent tout de suite et trouvent cela étonnant. Ce mélange a aussi induit un travail scénique plus long, plus fouillé, plus complexe, avec des problématiques qui ne s’étaient pas posées sur les précédents spectacles. C’est lié à l’épaisseur du propos, à l’âge des comédiens, à ma maturité.

Comment la distribution est-elle composée ?

Nous avons trois comédiens extraordinaires. J’ai déjà travaillé avec Isabel Juanpera et Cécile Leterme. Marcel Bozonnet est le petit nouveau de la bande et il a été la grande découverte de ce travail. C’est bien sûr un très grand comédien mais aussi un immense bonhomme. Pour les experts, j’ai rencontré beaucoup de gens tous azimuts : des médecins, des religieux, un croque-mort, etc. J’ai exclu les religieux, qui étaient passionnants, mais dont la croyance en l’au-delà biaisait le propos. En dehors des questions de pertinence, jouaient aussi des facteurs de disponibilité, des questions d’envie et de capacité. Il fallait croiser tous ces critères. On a donc un médecin, un philosophe et une psychologue, qui ne disent pas du tout les mêmes choses, même s’ils interviennent aux mêmes endroits dans le spectacle.

À tout cela s’ajoute un chœur de femmes et d’hommes recrutés in situ. J’ai beaucoup pratiqué le travail in situ mais je n’avais jamais fait intervenir les personnes à l’intérieur d’une fiction. Celles-ci sont bien sûr accompagnées et préparées mais en tant que non-comédiens, elles arrivent avec une poésie et une candeur que je trouve bouleversantes. 

« L’effet que peut avoir cette pièce, c’est peut-être de nous rappeler qu’on n’est pas là pour très longtemps et que dans le fatras du monde, il faut aller à l’essentiel. »

Au début de votre carrière, vous avez été infirmier en parallèle de votre métier d’acteur. Quel lien faites-vous entre ces deux pratiques ?

J’ai travaillé à l’hôpital pendant au moins dix ans, de nuit, pour pouvoir passer des auditions ou répéter la journée. La nuit, il n’y a personne dans les hôpitaux et l’on devient une petite lumière, une bouée pour tous ces gens alités. Le théâtre rassemble des gens différents et permet de se reconnaître, de se dire qu’au final, on est bien ensemble et d’être apaisé, tranquillisé et donc soigné. Cela fait partie de ses vertus premières. Beaucoup de spectateurs confient que cela fait du bien d’entendre parler de ces émotions-là, de les penser et de les partager. L’effet que peut avoir cette pièce, c’est peut-être de nous rappeler qu’on n’est pas là pour très longtemps et que dans le fatras du monde, il faut aller à l’essentiel.

Propos recueillis par Olivia Burton, en avril 2023.

Photos © Nicolas Martinez