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Magazine

15 décembre 2023
À lireActualités2023-2024

Un désir utopique

Phia Ménard par Jean-François Perrier

 « Je n’ai pas attendu qu’on me donne le droit d’être personnelle, je l’ai pris… » Cette revendication traverse la vie de cette artiste au parcours exceptionnel par la force des engagements qu’il révèle, hors des sentiers battus, sans tabous sinon sans douleurs. Phia Ménard, qui apprend le jonglage aux côtés d’un maître incontesté, Jérôme Thomas, ressent depuis toujours un malaise qui, au fil des ans, va se transformer en une difficulté à s’assumer dans le genre masculin qui lui a été imposé. Elle découvre dans la pratique de cet art un langage du corps mouvant qui lui permet de trouver cet équilibre fragile qu’elle a tant de mal à trouver dans sa vie.

Pour sortir de ce double-je, Phia Ménard crée en 1998 sa propre compagnie Non Nova, accompagnée d’une équipe fidèle encore largement présente aujourd’hui. Ce nom (issu du précepte Non nova, sed nove : nous n’inventons rien, nous le voyons différemment) n’est pas choisi au hasard, puisqu’il s’agit d'affirmer que si la matière des spectacles est sensiblement la même, la manière en est toujours différente. La compagnie, installée à Nantes, est aussi un véritable lieu de création comprenant un studio de répétition, un atelier de construction, un atelier de costumes, dans lequel peuvent se réaliser les recherches préparatoires et la création des spectacles.

Phia Ménard choisit de faire du plateau de théâtre le lieu de la parole, du combat et du questionnement. Commence alors un cycle qui associe la confrontation entre l’être humain et la nature avec la mise en cause sans détour de ce pouvoir masculin qui opprime.

Dès lors, Phia Ménard emprunte « ce chemin de vérité, ce théâtre où l’on jouait le faux pour rappeler le vrai ou le sens », et après dix ans de créations, elle enclenche le processus qui va la faire devenir femme. Ce sera ensuite le projet I.C.E. (Injonglabilité Complémentaire des Eléments) dans lequel elle affirme que son expérience personnelle devient le moteur de ses propositions artistiques à travers une série de spectacles liés à l’érosion et à la transformation des éléments naturels : eau, air, terre. Avec P.P.P. (Position Parallèle au Plancher, 2008), elle se confronte à un environnement hostile : 120 boules de glace suspendues dans les airs fondent d’une façon aléatoire et chutent sur le sol pendant qu’elle tente de jongler. Fasciné par cette mise en danger réelle de l’artiste, le public découvre avec passion l’originalité de cette démarche unique proposée dans le cadre du Festival d’Avignon. Mais c’est avec VORTEX et L’Après-midi d’un foehn (2011) que vient la reconnaissance unanime du public et de la critique. Depuis, les pièces de Phia Ménard ont été présentées dans plus de soixante pays à travers le monde.

Après être devenue femme, elle constate plus frontalement encore la violence patriarcale, celle de « cette association de malfaiteurs » qu’elle subit, et choisit alors de faire du plateau de théâtre le lieu de la parole, du combat et du questionnement. Commence alors un cycle qui associe la confrontation entre l’être humain et la nature avec la mise en cause sans détour de ce pouvoir masculin qui opprime, « presque naturellement ». En 2015, avec Belle d’hier, Phia Ménard met en scène cinq femmes qui se lavent à grande eau pour « une dernière lessive » qui les libère des fantasmes masculins, en particulier celui du prince charmant mais aussi celui de la beauté féminine idéalisée à outrance. Saison sèche (2018) témoigne plus fortement encore du sentiment d’être une « proie » dans une « jungle » où le mâle a été élevé pour dominer. Elle imagine un rituel dans lequel les interprètes féminines se saisissent des figures masculines pour les caricaturer en copiant leurs gestes et leurs attitudes. Les images traditionnelles du masculin se détruisent avant que le lieu du rituel ne s’effondre, moisi et décomposé.

Nouveau cycle en 2017 lorsque l'exposition d'art contemporain documenta 14 de Kassel (Allemagne) lui demande un projet sur le thème « Apprendre d’Athènes/Pour un parlement des corps ». Elle crée Contes Immoraux – Partie 1 : Maison Mère, qui sera le premier volet d’une trilogie intitulée La Trilogie des Contes Immoraux (pour Europe). Cette Maison Mère sera un Parthénon en pièces de carton, genre kit Ikea, à l’exacte échelle du 1/10e, qu’elle entreprend de reconstruire sur le plateau du théâtre. Elle devient alors une ouvrière punk, méticuleuse et attentive, maniant avec dextérité, sous une forme quasiment chorégraphiée, les outils nécessaires à son dur labeur. Une fois érigé, le monument subit une pluie diluvienne, à l’image de celles liées au dérèglement climatique, et s’effondre lentement mais sûrement. Plus que jamais elle assume son « besoin de chair, de sueur et de sincérité » qui explose dans les deux autres volets de la trilogie, qui ne verront le jour qu’en 2021, confinement oblige : Temple Père puis La Rencontre interdite. Reprenant à son compte le désir utopique de construire une tour qui atteigne le ciel et le dieu qui possiblement y demeure, elle le détourne pour questionner des formes de pouvoir, celui du patriarcat et celui du capitalisme. Entre soumission et domination, aliénation et révolte, elle fait construire sur scène cet énorme monument phallique par quatre esclaves sous les ordres d’une maîtresse qui ordonne et punit. La trilogie se clôt par une prise de parole de Phia Ménard, sans qu’aucun mot ne soit prononcé puisqu’elle fait parler son corps dénudé telle une captive qui se libère, refusant la barbarie d’un monde qui s’égare.

Les corps, les matières et les mots se rencontrent, se confrontent, s’enrichissent pour donner à voir la vision d’un monde, violemment en crise, que l’on doit questionner et combattre. 

C’est cet engagement total et sans complaisance qui continue de fasciner et de troubler le spectateur. Les corps, les matières et les mots se rencontrent, se confrontent, s’enrichissent pour donner à voir la vision d’un monde, violemment en crise, que l’on doit questionner et combattre. Dans ce monde, les pouvoirs écrasent celles et ceux qui subissent sans cesse l’injustice, comme les exilés qui tentent de plus en plus difficilement de traverser les frontières, et à qui Phia Ménard consacre son dernier spectacle, ART. 13. Une référence à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui reconnaît le droit à tout être humain de se déplacer librement dans son pays mais aussi d’un pays à un autre.

Jean-François Perrier