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Magazine

23 avril 2024
À lireEntretiens2023-2024

Des battements de cœur sous les gravats

Entretien avec Chrystèle Khodr autour d'Ordalie

L’action de la pièce se déroule pendant la nuit du 1er septembre 2020. Que s’est-il passé ce soir-là dans Beyrouth ?

Le 1er septembre 2020 marque le centenaire de la création du Grand Liban par la puissance mandataire française en 1920, Emmanuel Macron se trouve en visite au Liban. Ce jour-là l’ancien premier ministre libanais, démissionnaire suite à une insurrection populaire, est reconduit dans ses fonctions. Les parents des victimes de l’explosion du port (4 août 2020 - ndlr) manifestent comme tous les jours, et la dévaluation de la livre est quasi quotidienne. Les habitants ont pris l’habitude de se réunir tous les soirs dans le quartier de Gemmayzé, autour des ruines, d’autant qu’une rumeur folle et persistante a laissé croire que l’on avait détecté des battements de cœur sous les gravats. Rumeur bientôt démentie, et nouvelle cruelle déception populaire. L'idée c'est que quatre acteurs se retrouvent par hasard cette nuit-là, ce sont de vieux amis de l'école de théâtre, ils se rendent sur l’aire de jeux qu’ils fréquentaient enfants, qui doit être détruite le lendemain. Durant cette nuit, leur vie des années 1990 à aujourd’hui va se déployer, cette vie qui est une série d’ordalies.

« Ce jeu de pouvoir m'est complètement inconnu dans ma vie personnelle, cette question et celle de l’héritage, dans la pièce d’Ibsen et dans la société dans laquelle je vis, sont des affaires d’hommes. »

C’est une pièce d’Ibsen qui vous a suggéré le titre Ordalie.

L’ordalie, qui désigne une épreuve censée déboucher sur une révélation, est au coeur de la pièce d’Ibsen Les Prétendants à la couronne, dont des extraits seront joués cette nuit-là par les quatre amis comédiens : il s’agit du dernier spectacle auquel ils ont participé ensemble. J’avais beaucoup apprécié cette pièce quand je l'avais lue, saga historique où des hommes se disputent le pouvoir et qui traite entre autres du sexisme et des milieux de pouvoir. Un tel jeu de pouvoir m'est complètement étranger dans ma vie personnelle ; cette question et celle de l’héritage, dans la pièce d’Ibsen et dans la société où je vis, sont des affaires d’hommes. Par ailleurs, la pièce d’Ibsen se conclut par la paix civile et par la création d’une nation à partir de clans hétérogènes, ce que je mets en miroir avec les grandes promesses historiques équivalentes mais non tenues dans notre pays depuis la fondation du Grand Liban en 1920.

Comment décririez-vous la situation dont a hérité votre génération née pendant la guerre civile (1975-1990) ?

Dans la pièce, on part de 2020 pour revenir aux années 1990 où ont été énoncées de belles promesses de reconstruction qui n’ont abouti à rien. J'essaie dans le spectacle de ne pas m’appesantir sur la défaite de ma génération, mais le moins que l’on puisse dire c’est que nous avons hérité d'un pays qui ne fonctionne pas. Si on parcourt l'histoire de nos vies, chaque année il s'est passé quelque chose de violent. Jamais ma génération n’a vécu une année de trêve. C’était constamment une vie entre deux catastrophes, entre deux drames nationaux. Mon travail tourne toujours autour de la mémoire, mais c’est aussi le présent que je voudrais questionner. Savoir notre part de responsabilité, pas uniquement la mienne ou celle de mes amis, mais celle de ceux qu'on appelle les dominants. En 1990, ces anciens seigneurs de guerre ont commencé par tout effacer, affirmant que la guerre était finie et que tout le monde était pardonné. Ils se sont auto-octroyé une amnistie : comment les corps des enfants qui ont vécu la guerre peuvent-ils encaisser cela ? Comment grandir avec ce poids ? C'est tout ce que le spectacle essaie de questionner.

« Le problème ce n’est pas l'homme ou la femme, c'est le patriarcat qui a modelé violemment ces corps masculins. »

Dans ce spectacle qui critique le patriarcat et le sexisme vous avez choisi de mettre quatre hommes et aucune femme au plateau, qu'est-ce qui a motivé ce choix ?

Il y a pléthore d'auteurs et de metteurs en scène hommes qui ont écrit sur les états d'âme des femmes, sur leurs deuils, leurs tristesses, leurs vies intérieures ! Pour ma part je pars de quatre interprètes que je connais très bien, et l’écriture se nourrit du travail de plateau, notamment d’improvisations. Je partage des questions clés avec ces quatre camarades de parcours, qui étaient avec moi à l’école des Beaux-Arts. Les quatre personnages masculins correspondent à la distribution de la pièce d’Ibsen : le roi, le prétendant à la couronne, l’évêque et le poète. Les quatre comédiens tiennent ici chacun un double rôle, l’un proche de sa personnalité dans la vie, l’autre comme protagoniste de la pièce d’Ibsen. C’est une situation délicate mais féconde : les comédiens sont parfois mal à l’aise avec mes propositions au sujet de la masculinité, et moi de même avec certaines des leurs. Nous sommes ensemble en train de trouver un terrain d’entente. Si la femme est absente du plateau elle n'est pas absente du propos. Pour moi le problème ce n’est pas l'homme ou la femme, c'est le patriarcat qui a modelé violemment ces corps masculins, et je me dis que si j'arrive à comprendre ce que le patriarcat a fait à ces corps peut-être que je comprendrai ce qu’il a fait au mien. L'absence de femme au plateau me permet de considérer la réflexion de manière plus détachée, la mise à distance - presque une abstraction - me permet d’explorer plus clairement le sujet.

Sur la question du patriarcat votre travail avec les quatre comédiens fonctionne comme un laboratoire ?

Pendant des années on a parlé de nous avec un regard masculin, aujourd'hui j'ai envie de parler des hommes avec un regard féminin, pas pour me venger, ni pour dominer, ni pour castrer, ni ériger un tribunal, mais pour comprendre. Comprendre ce que nous subissons quel que soit notre genre. Je vais sans doute me mettre pas mal de personnes à dos mais personnellement je crois qu’aujourd’hui au Liban notre problème n’est pas la question du genre, c’est la question des dominants, des ex-seigneurs de guerre, des voleurs en haut lieu, des ultra-libéraux, des directeurs de banque. Et tous ces gens, que l’on soit homme, femme, ou trans, on subit leur violence dans notre corps. Notre problème c'est le néolibéralisme, c‘est l’impunité, et le patriarcat protège toutes ces mafias. C’est comme cela que je considère la question. Peut-être qu'à la fin de ce travail nous aurons tous étoffé nos points de vue.

Propos recueillis par Tony Abdo-Hanna, en avril 2023.