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Magazine

28 août 2019
À lireActualités2019-2020

Compagnonnage

Dieudonné Niangouna raconté par Hortense Archambault

La première fois que j’ai rencontré Dieudonné Niangouna, c’était en 2007 au Festival d’Avignon alors que je le co-dirigeais avec Vincent Baudriller.  Il y était cependant venu en spectateur en 2004 et 2006. En juin 2007, il est arrivé accompagné d’un compagnon de route de Brazzaville pour créer « Attitude Clando » dans le jardin de la rue de Mons. Tout était clair dans la vision qu’il avait de ce spectacle écrit et interprété par lui, le dispositif scénique inhabituel installant les spectateurs en triangle dessinant un espace de jeu réduit où il serait comme acculé, les braises, la nuit, les cigales et la force de sa parole projetée, fascinant. Vincent Baudriller l’avait rencontré quelques mois plus tôt à Brazzaville et avait assisté à une répétition dans le pool à N’Tula. L’impact d’« Attitude Clando » était tel que le spectacle a tout de suite fait la rumeur du Festival et Dieudonné Niangouna a dû affronter les effets du succès. Il l’a fait avec une élégance tout en retrait qui m’a frappée et qui demeure une marque de son caractère. En 2013, au moment d’être artiste associé de l’édition avec Stanislas Nordey, il en dit « ce fût une énorme joie et une pression monstrueuse car tout le monde m’en parlait, mais je devais gérer cela au moins jusqu’à la dernière représentation et attendre mon retour au Congo pour enfin pleurer comme un enfant ». Il cite parfois un conseil de sa mère « reste concentré sur ce que tu as à faire, ne te laisse pas distraire car sinon tu peux te faire avaler par le rêve de l’autre ».

Vincent Baudriller était allé l’année précédente à « Mantsina sur scène », ce festival d’écriture contemporaine que Dieudonné Niangouna avait fondé à Brazzaville avec un collectif d’auteurs, metteurs en scène et comédiens congolais en 2003. Forts de la conviction qu’un rendez-vous artistique serait nécessaire pour mobiliser les talents et les énergies dans un pays où faire du théâtre n’a rien d’évident, ils ont soulevé des montagnes. Dieudonné Niangouna était très désireux de rencontres et d’échanges avec le reste du monde. Il avait par exemple invité pour une master class Rodrigo Garcia et s’inquiétait de monter une bibliothèque de textes contemporains internationaux. Il dit souvent qu’en Afrique le théâtre est arrivé par bateau avec la colonisation, alors que les arts plastiques sont arrivés en avion. Et que si le théâtre a rencontré des écritures fortes présentes au Congo, la forme reste souvent classique. Mais il sait que le Congo est un pays d’auteurs.

C’est dès les premières éditions que Mantsina sur scène se pense et s’invente à la dimension du continent africain, aidé par l’institut français mais se développant en dehors du lieu de l’institut. Le cœur du festival est le centre Sony Labou Tansi puis un lieu dédié « l’espace Mantsina » ouvert à Makélékélé dans un quartier de Brazzaville où a grandi Dieudonné Niangouna. Depuis 2015, les spectacles se produisent uniquement dans les « cours » des maisons au plus près des habitants. J’ai pu assister là-bas à une rencontre passionnante sur le rôle du théâtre et de l’écriture dans une vision panafricaine solidaire et indépendante plaçant Mantsina (qui signifie « une bonne odeur » en langue Kongo) en lien avec d’autres initiatives comme celle des Recréâtrales de Ouagadougou créés en 2002) pour penser une Afrique future solidaire et unie dans la culture.

En 2016, Dieudonné Niangouna quitte la direction artistique de Mantsina avec ces mots : « j’ai la reconnaissance d’avoir navigué auprès des artistes qui ont le cœur sur la main et l’âme dans le cœur (…) le chemin est plus que long, alors force et courage obligent. Nous irons, compagnons de route, chargés d’une même passion, planter le théâtre au cœur de la cité. Nous continuerons ce magnifique geste de l’humain « enfanter l’art pour repousser sans cesse la mort de la vie » » et laisse avec fierté la place à l’artiste Sylvie Dyclo-Pomos .

Son œuvre dramatique peut être classée en trois catégories de pièces, les monologues intimes écrits pour lui, les pièces épiques et les pièces de commande écrites pour un autre.

Les monologues intimes, « attitude clando », « les inepties volantes », « le kung-fu », « un rêve au-delà » témoignent de son histoire et de ses réflexions face au monde. Ce sont des pièces brûlantes qui ont un caractère quasi prémonitoire. Que ce soit « attitude clando » parlant de l’être clandestin de manière à la fois charnelle et philosophique bien avant que la question migratoire paralyse la pensée européenne, « les inepties volantes » créée au Festival d’Avignon en 2009 au cloître des Célestins avec l’accordéoniste Pascal Contet sur sa traversée de la guerre civile congolaise ou « un rêve au-delà ». Ce dernier texte n’a pas encore été monté. Je l’ai découvert par hasard quelques jours après la fin de l’édition 2013 du Festival d’Avignon que nous avions vécue ensemble. En allumant la radio, j’ai entendu sa voix et ai écouté médusée la lecture qu’il en avait faite pour France Culture un jour dans la Cour du Musée Calvet et à laquelle je n’avais pas pu assister. Je l’ai invité plus tard à redonner cette lecture en novembre 2015, au théâtre national de Chaillot devant la majestueuse tour Eiffel servant de décor à travers les baies vitrées du foyer, et à l’université de Villetaneuse. C’était quelques jours après les attentats de Paris et la fureur désespérée qui émanait du texte, était un baume que chaque auditeur recevait comme une parole possible prenant le chaos du monde à bras le corps pour mieux l’affronter.

De la guerre il dit qu’elle ne fait pas des artistes mais « parce que tu es artiste tu peux dire ce que tu as vécu de la guerre ». Cependant la traversée de la guerre marque profondément et l’artiste et son œuvre. Elle a sans doute fait de lui un des grands auteurs tragiques contemporains, ceux qui ont « vu le diable » et creusent sans cesse la violence de l’être humain pour mieux la circonscrire.

Les pièces épiques composent un cycle commencé par « le Socle des vertiges » créé en 2011 aux Francophonies en Limousin, suivi de « Shéda » créé en 2013 au Festival d’Avignon dans la carrière Boulbon et « Nkenguegi » en 2016 au théâtre de Vidy à Lausanne. De ces grandes pièces, l’auteur dit qu’il est revenu aux grandes mythologies qui avaient bercé son enfance ; l’écriture y est vaste, lyrique. Pour l’esprit rationnel occidental il faut accepter de faire une traversée et de parfois s’y perdre. La présence des mythes fait cohabiter sur le même espace de la scène des mondes séparés : la quotidienneté de la vie humaine au Congo ou en Europe, les références cinématographiques, les héros des légendes et les morts du monde, ou encore de pures apparitions poétiques. La narration n’est pas linéaire, mais construite en spirale. En passant par l’humour, souvent né de l’absurde de situations traitées de façon presque burlesque, par la poésie de grandes métaphores ou des digressions sur la situation qu’il faut toujours finir par « boxer », le spectateur est traversé par des émotions souvent contradictoires. Il doit cependant accepter l’apnée pour trouver le bonheur d’une expérience esthétique singulière.

J’ai présenté lors de ma première saison pour la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis (MC93) que je dirige désormais « Nkenguegi » la dernière du cycle. Elle a ceci de particulier qu’elle est comme une sorte de synthèse entre les grandes pièces épiques et les monologues intimes. La première partie est constituée de situations de groupe très différentes autour de la migration. La dernière partie est un monologue interprété par l’auteur lui-même. Elle m’évoque la figure de l’artiste. Sa capacité d’agir, la réception de son verbe, son empêchement politique, son courage, la nécessaire violence ou solitude de sa situation, m’apparaissent tour à tour. Mais Dieudonné Niangouna n’est plus seul en scène, il y a un film projeté derrière lui tourné au Cameroun qui nous raconte quelque chose d’autre que la parole de l’auteur, multipliant ainsi les fils de narration, tout comme la chorégraphie des autres acteurs de la pièce qui l’oppressent. 

Les pièces épiques sont plus difficiles à produire et elles l’ont été grâce au soutien de partenaires fidèles en France et en Europe. Depuis 2009 c’est Antoine Blesson qui accompagne avec son bureau de production « le grand gardon blanc » la compagnie de Dieudonné Niangouna qu’il a appelé « les bruits de la rue » dès le début ; la compagnie a été conventionnée par le ministère de la culture au titre des premières compagnies nationales.

Les commandes, monologues adressés, « m’appelle Mohamed Ali » pour Etienne Minoungou, « Et Dieu ne pesait pas lourd… » pour Frédéric Fisbach, « la patience de l’araignée » pour Lamine Diarra, sont des textes d’amitié. Dieudonné Niangouna garde toute sa langue mais en l’adaptant à la bouche d’un autre. Ils lui permettent parfois de dire autrement, en parlant d’ailleurs, des pensées qui sont présentes dans ses autres textes, et notamment sur les rapports nord-sud.

Dieudonné Niangouna se revendique francophone, il ajoute parfois « francophone d’office ». Son écriture très travaillée est marquée par une forte oralité. Le français y est parlé, traversé par le lari langue urbaine métissée de Brazzaville qui n’est liée ni à une tribu ni à une histoire ancienne. « Elle a donc l’avantage de pénétrer partout comme un petit chat sauvage qui dévore tout ce qu’il trouve, elle se nourrit de tout ce qu’elle croise : elle a donc naturellement grignoté mon français »

Les textes de Dieudonné Niangouna nécessitent d’être servis par des comédiens qui n’ont pas froid aux yeux et qui acceptent de rentrer dans cette écriture en urgence, qui « court et se bat ». Il leur faut des armes et le travail de transmission de Dieudonné Niangouna vise à leur en donner. Il ne s’agit pas d’incarner un personnage, mais de trouver les formes avec son corps pour montrer la parole poétique. Il transmet beaucoup, avec exigence, et ceux qui ont suivi son enseignement restent marqués par sa rencontre.

La préparation de l’édition 2013 du Festival d’Avignon a été une formidable aventure. De longues discussions se sont déroulées lors d’un voyage à Brazzaville et Pointe Noire que nous avons fait avec Stanislas Nordey et Vincent Baudriller, guidés par Dieudonné Niangouna en septembre 2012. Ces deux artistes sont aussi acteurs en plus d’être metteurs en scène, ils s’intéressent à la transmission et à l’héritage, sont passionnés par l’écriture contemporaine et sont engagés dans leur temps. Tous deux sont généreux et aiment voir le travail des autres.

Dieudonné Niangouna prend rarement la parole sur des sujets d’actualité. Quand il le fait, les textes sont mordants et ne laissent pas indemne, je pense à celui très courageux et engagé écrit en 2015 quand Sassou-Nguesso brigue un troisième mandat et change la constitution, celui après les attentats de Paris ou encore celui, parfois mal compris, au moment du focus Afrique du Festival d’Avignon 2017 dont la communication put être vécue comme une régression niant tout ce qui avait été présenté et pensé en 2013.

Il fait pour moi partie de ces artistes et intellectuels du XXIème siècle qui parlent depuis l’Afrique mais pensent le monde. Certainement que le compagnonnage avec Dieudonné Niangouna, qui a poursuivi un processus intérieur entamé avec un autre artiste associé d’Avignon, Wajdi Mouawad, m’a permis de déplacer profondément mon regard sur l’Europe et ses rapports avec le monde. Une étape nécessaire sans doute pour envisager une mondialité pour demain qui échapperait aux seuls intérêts financiers.

Au moment où je conclus ses lignes, vient d’arriver au courrier dans mon bureau « Trust, Shakespeare, Alleluia » un texte écrit pour de jeunes acteur.e.s rencontré.e.s dans des ateliers menés dans différents coin du monde que Dieudonné Niangouna va créer à la MC93 à la rentrée 2019, une pièce sur la confiance comme en témoigne son titre…

Hortense Archambault

Texte paru dans la revue Théâtre Public
N°232 | Avril - Juin 2019 | theatrepublic.fr