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Magazine

3 février 2022
À lireEntretiens2021-2022

Créer du manque, du vide, des non-dits

Entretien avec Jean-François Sivadier autour de Sentinelles

Vos mises en scène alternent œuvres classiques et œuvres originales très personnelles. Pourquoi cette volonté de prendre directement la parole sur le plateau ?

Jean-François Sivadier : À force de porter la parole des auteurs, on peut avoir l'envie, un jour, de se coller à la question de l'écriture. Mais en ce qui me concerne, cette question est toujours partie du plateau. Que ce soit pour Italienne Scène et Orchestre ou pour Noli me tangere, l'enjeu était, avant tout, de me confronter au plaisir et à la difficulté d'inventer un nouvel objet, pour des acteurs et avec les acteurs, le texte se laissant influencer par le travail du plateau. C'est très excitant d'écrire « sur mesure » pour les interprètes, d'inventer différents niveaux de langue. Je n'ai pas écrit de la même façon pour chacun des trois acteurs de Sentinelles.

Comment est né ce projet ?

Mes derniers spectacles portaient sur des grands textes, pour des grands plateaux, avec des distributions importantes, je voulais faire l'expérience d'une forme plus intimiste, avec peu d'acteurs et un spectacle à inventer entièrement… Il y a une vingtaine d'années, j'ai découvert Le Naufragé de Thomas Bernhard, un roman dans lequel l'écrivain interroge les rapports entre trois pianistes, dont l'amitié est compromise par une cruelle équation : deux sur les trois sont de grands virtuoses, mais le troisième, Glenn Gould, est un génie. Hormis le vertige de la langue de Bernhard, organique, musicale, obsessionnelle, ce qui m'avait frappé c'est d'abord une image : les trois étudiants qui suivent, à Salzbourg, « au cours d'un été de pluie ininterrompue », des cours avec Vladimir Horowitz, et qui travaillent le piano, jour et nuit, sans dormir et presque sans manger.  Salzbourg, le piano, la pluie, le son de Gould qui joue, en boucle, les Variations Goldberg de Bach… On peut dire que Sentinelles est né de cette image. Pour me rapprocher de la forme romanesque, j'ai commencé par écrire le journal fictif d'un des trois personnages (Swan) et ce journal est devenu comme la base du travail. L'enjeu des répétitions était d'imaginer comment on allait pouvoir en faire du théâtre...

Comment avez-vous travaillé à partir de ce canevas ?

Pour retrouver, d'une certaine manière, la parole du narrateur du roman de Bernhard, j'ai d'abord commencé par écrire le journal fictif d'un des trois protagonistes. Un journal intime dans lequel il raconte, jour après jour et de manière totalement subjective, ses rapports avec les deux autres et les évènements qui vont jalonner la vie des trois musiciens. Un journal, donc une forme à priori plus romanesque que théâtrale, qui permet de se jouer du temps, des lieux, de la chronologie et de la vérité. Qui permet de passer de l'anecdote à des réflexions plus profondes et qui permet aussi de créer du manque, du vide, des non-dits. Tout cela a contribué à faire un portrait précis des trois personnages et un récit détaillé de leur histoire. Je ne travaille jamais sur la notion de personnage, encore moins sur leur vécu ou leur psychologie, mais ce matériau, comme un roman, a dessiné une sorte de paysage mental des trois pianistes, avant même qu'ils prennent la parole sur le plateau. Ce qui nous a donné l'impression de les connaître et l'envie de les imaginer dans n'importe quelle situation...

"On a fait de tout ça une mémoire commune dans laquelle on va puiser pour inventer le plateau. Le texte est à géométrie variable et sa forme s'invente en même temps que le spectacle."
 

C'est ce texte, sorte de journal imaginaire, dont s'emparent les acteurs ?

On s'est emparé de beaucoup de choses... De ce journal imaginaire dont on a pris des extraits pour inventer des scènes, mais aussi d'une somme inépuisable de documents sur la musique, sur le piano, des témoignages de musiciens, des entretiens, les films de Bruno Monsaingeon sur Glenn Gould, sur Richter...On a fait de tout ça une mémoire commune dans laquelle on va puiser pour inventer le plateau. Le texte est à géométrie variable et sa forme s'invente en même temps que le spectacle. Il se nourrit des improvisations des acteurs, de leurs intuitions...

Le titre du spectacle, Sentinelles, peut interroger....

Mais curieusement il s'est imposé assez vite, je ne sais même plus comment. Il m'a paru tout de suite assez juste. Une sentinelle est un soldat qui fait le guet, pour la garde d'un camp, d'une place, d'un palais...Un soldat à l'affût, dans un temps suspendu, dans l'attente, la perspective d'un événement qui arrivera ou qui n'arrivera pas. Je n'ai pas vraiment envie d'expliquer le choix de ce titre. Je n'ai même pas le souvenir de l'avoir vraiment expliqué aux acteurs. J'ai plutôt envie que chacun puisse y projeter ce qu'il veut et rêver à la corrélation possible, entre la position d'un artiste et celle de quelqu'un qui se tient, à la fois, immobile et dans l'action, entre deux lieux, celui qu'il surveille et celui dont il garde l'entrée...

"Une conversation passionnée, légère et venimeuse, entre trois artistes, à la fois liés et irréconciliables, qui se disputent, avec respect mais intransigeance, conscients que définir leur rapport à l'art, c'est avant tout parler de leur rapport au monde."
 

Vos artistes sont des pianistes. Auriez-vous pu imaginer trois auteurs de théâtre ou trois peintres ?

La musique est évidemment un prétexte. J'avais envie de rêver sur les questions que se posent les acteurs, les metteurs en scène, les danseurs... mais le théâtre ou la danse sont des arts du collectif. Ce qui est important chez Swan, Mathis et Raphaël c'est la solitude. La solitude du concertiste qui ne peut jamais se reposer sur l'échange avec l'autre. Des artistes qui ne peuvent avancer que seuls, face à eux-mêmes. Et, dans Sentinelles, les trois hommes, que presque tout sépare, dans leur vision du monde et de l'art, passent leur temps à vouloir échapper à cette solitude en se réfugiant dans cette amitié qui semble indestructible. Impossible pour chacun des trois de se passer des deux autres, chacun des trois admirant chez les deux autres ce qui lui manque. Sentinelles pourrait ressembler, au bout du compte, à une conversation sans fin. Une conversation passionnée, légère et venimeuse, entre trois artistes, à la fois liés et irréconciliables, qui se disputent, avec respect mais intransigeance, conscients que définir leur rapport à l'art, c'est avant tout parler de leur rapport au monde. Une conversation entre trois amis, qui durerait toute une vie et au cours de laquelle, une mauvaise plaisanterie, une petite humiliation, un mot contre Mozart ou Chopin pourrait être l'occasion d'une séparation définitive...

Entretien réalisé par Jean-François Perrier.