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Magazine

9 février 2024
À lireEntretiens2023-2024

Imaginer une architecture poétique

Entretien avec Adama Diop autour de Fajar

Vous signez pour la première fois le texte d’un spectacle, Fajar, quel est votre cheminement avec l’écriture ?

Adolescent, j’ai ressenti un appel vers l'écriture plutôt sous la forme poétique, et lors de mon arrivée en France, j’ai commencé une expérience qui s’y apparentait : l'écriture de chansons. Jusque-là j’écrivais principalement dans ma langue natale, le wolof. Pour le texte de Fajar, j'ai eu la sensation de m’attaquer pour la première fois à une œuvre plus importante, en wolof mais aussi en français. Il m’a fallu pour cela un temps de vie en France, acquérir une certaine légitimité. J'aime les mots, j'aime les coucher sur le papier, j'aime la sensation que cela me provoque, l'univers que cela m’ouvre. Cependant, je ne me considère pas comme un auteur, j'ai une telle estime pour les personnes qui font œuvre de littérature que je ne peux me ranger dans cette famille. Par contre, c'était important pour moi d'écrire le texte pour ce spectacle, d'être à cet endroit-là, d’imaginer une architecture poétique, rythmique, musicale et une interaction entre différentes formes esthétiques.

« La mise en scène m’intéresse au-delà du geste artistique, pour moi c'est une question que l’on lance au monde, c’est un dialogue que l’on construit avec les spectateurs et avec les artistes autour. »

Pour cette pièce, vous êtes également à la mise en scène… Comment s’est opéré ce passage ?

J’ai toujours été certain de mon envie de diriger des acteurs, de concevoir une œuvre pour la scène, mais j'avais besoin d’un délai avant de m’y lancer sérieusement : c’est déjà tellement complexe de quitter un pays pour arriver dans un autre, comprendre où on est, apprendre le métier d’acteur. La mise en scène m’intéresse au-delà du geste artistique, pour moi c'est une question qu’on lance au monde, c’est un dialogue qu’on construit avec les spectateurs et avec les artistes autour. Et cet endroit, aujourd’hui, est pour moi une nécessité. C’est sans doute une question de cycles : j'ai vécu vingt ans au Sénégal, puis vingt ans en France, maintenant j'ai besoin d'ouvrir un nouveau cycle, cela passe par la pensée, la réflexion, pour établir un pont entre les deux premiers.

Quelle est l'envie première à l'origine de Fajar ?

Souvent on part de soi, je crois. L’expérience qui anime le départ du projet, c'est mon arrivée en France, la découverte de mon altérité, et cela n'est pas une figure de style, j’ai vraiment découvert que j’étais quelqu’un d’autre. On peut tous penser que l’on est autre, mais il y a quelque chose d'esthétique qui amène les gens à vous regarder, et par leurs regards on comprend que l’on ne fait pas partie d’eux. À partir de là, on construit son chemin avec le regard des autres, l'interprétation des autres. Ce qui exacerbe aujourd'hui cette première nécessité, c'est la violence que je ressens dans les projections énoncées sur des personnes que l’on ne connaît pas. Je pense notamment à l’usage du mot « migrant », à la manière dont on l’emploie aujourd’hui, qui réduit des milliers d'histoires à un mot. Une Syrienne, un Sénégalais, un Afghan ont chacun une histoire personnelle particulière qu'il faut appréhender à l'échelle de l'humain et non à l'échelle de la statistique. Ni d’un danger potentiel pour nous, pour notre société, culturellement ou économiquement. Cette peur générée par l’autre, par ce qu’on ne comprend pas, ce que nous ne prenons pas le temps de comprendre, c'est le point de départ de Fajar. Conter l’histoire d’un homme qui est parti tout simplement pour découvrir qui il est et qui se retrouve confronté à une violence sans nom. Complexifier le débat autour de ce qu’est une migration.

Pour l'écriture de ce spectacle vous vous êtes rendu dans un camp de réfugiés en Grèce, dans quel but ?

À un certain stade de l’écriture, j’ai redouté un piège, celui d'interpréter une réalité qui ne m’est qu’en partie familière. Je viens d'un pays, le Sénégal, d’où beaucoup de gens partent, prennent des pirogues, et nombre d’entre eux en meurt. Je vois le point de départ : pourquoi ils partent. Mais quelles sont leurs traversées ? J'ai alors appris qu'il existait ce camp de Moria sur l'île de Lesbos en Grèce, et à partir de ce moment-là j'étais comme appelé par cet endroit-là. Je suis parti en me disant : remets-toi en question, remets en question ton projet, ce que tu crois savoir de ce que tu es en train d’écrire. 

« C’est tellement violent ce qu’on m’a raconté que je ne peux pas l’écrire, on me dirait c'est trop. Dans ma restitution je dois baisser le curseur du niveau de violence pour que cela soit audible. »

Comment s’est déroulé votre séjour dans ce camp ?

À quelques centaines de mètres de La Moria l’émotion m’a saisi au ventre, à la vue de dizaines et de dizaines de personnes qui marchent vers le camp. D'un seul coup l'espace et le temps changent, les visages et les corps aussi. Un homme me propose de m’aider à rentrer dans le camp, je le suis. Là, je plonge dans une ville dans la ville, il y a des barbelés, les gens sont méfiants. Me sentant extrêmement démuni, j'ai été très clair en disant : je ne suis personne, je suis un troubadour, ce que je peux faire, comme disait Césaire, c'est d'essayer d'« être la bouche de ceux qui n'ont pas de bouche », savoir quelle est votre histoire, depuis combien de temps vous êtes là. C’était nécessaire de découvrir ce lieu, on en a des échos grâce à la télévision et aux médias, mais c'est biaisé. Ce n’est pas ce que vivent les gens. Pour moi, en tant qu’auteur, en tant que metteur en scène, c’est tellement violent ce qu’on m’a raconté que je ne peux pas l’écrire, on me dirait c'est trop. Dans ma restitution je dois baisser le curseur du niveau de violence pour que cela soit audible. Je suis rentré en me disant : il faut que je me démène pour monter ce spectacle, c'est d'une nécessité, d'une urgence totale. Sachant que ceux qui sont dans le camp sont ceux qui ont survécu, il y a tous ceux qui sont morts dans la Méditerranée, en chemin ou en esclavage. 

Une formation musicale plutôt originale accompagne le spectacle.

Parallèlement à mon travail d'acteur, je fais beaucoup de musique et je compose. Quand est venu le moment d'écrire ce projet je ne voulais pas une forme convenue mais je n’avais pas de vision précise. La musique est un médium qui m'accompagne tous les jours, me permettant de réfléchir, de véhiculer certaines émotions. La phase d’écriture s'est d’ailleurs déroulée avec de la musique, j'ai demandé par exemple à Anne-Lise Binard, qui joue de l’alto dans le spectacle, de m'écrire quelques parties et pendant un temps je n'ai pas du tout écrit, j'ai composé. Ensuite, il y a eu des allers-retours entre texte et musique. J’ai alors imaginé un quatuor à corde atypique, composé de mes cordes vocales, des cordes du n’goni (harpe traditionnelle malienne - ndlr), d’un alto et d’un violoncelle. À partir de là j'ai pu concevoir la forme du projet entre concert, film et conte.

Propos recueillis par Tony Abdo-Hanna, en mars 2023.

Photos du spectacle © Simon Gosselin