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Magazine

14 février 2024
À lireActualités2023-2024

L'odysée d'un homme

Adama Diop par Jean-François Perrier

« Ce qu’on fait de mieux dans la vie, on le fait souvent par hasard… » Cette réflexion de David Copperfield dans le roman éponyme de Charles Dickens s’applique sans aucun doute à Adama Diop.

Le jeune Dakarois intègre l’université Cheikh-Anta-Diop à la fin de ses études secondaires, se destinant d’abord au journalisme, avant une première rencontre avec le monde du théâtre, qu’il n’avait quasiment jamais fréquenté, sauf par ses lectures scolaires. Cette année-là, il accepte de participer avec un ami à un spectacle pour un concours interscolaire organisé par le Centre culturel français, avec, pour les lauréats, un voyage en France. Ce voyage sera décisif. Arrivant à Montpellier, il est invité à découvrir une école liée au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique. Lors de cette visite, il voit un autre élève, Babacar M’Baye Fall, lui-même d’origine sénégalaise, apprendre un texte à haute voix en marchant… Pour une raison qu’il ne s’explique toujours pas, il décide sur-le-champ qu’il sera comédien.

Il passe et réussit le concours d’entrée dans cette école dirigée alors par un remarquable comédien, Ariel Garcia- Valdès. En 2005, sur les conseils de ce dernier, il se présente au concours du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris et à celui de l’École du Théâtre National de Strasbourg. Il est reçu dans les deux écoles et choisit Paris. C’est pendant ses années au Conservatoire qu’il débute sa carrière professionnelle en jouant dans les pièces de Marion Aubert, avant d’être engagé dès sa sortie de l’école par Bernard Sobel, Christophe Perton, Jean-Pierre Baro et Arnaud Meunier. Sa présence sur scène, son engagement, sa rigueur le mènent de Brecht à Koltès en passant par Büchner et Marie N’Diaye, sous la direction de metteuses et metteurs en scène aux univers si différents, et font de lui un acteur remarqué.

C’est la rencontre avec Julien Gosselin, qui lui propose de participer à l’aventure de 2666 au Festival d’Avignon en 2016, qui lui donne une reconnaissance publique unanime. Stéphane Braunschweig, de nouveau Julien Gosselin, puis Frank Castorf, Arthur Nauzyciel, Tiago Rodrigues et Jean-François Sivadier vont successivement lui proposer de faire entendre Shakespeare, Don DeLillo, Racine, Antonin Artaud, Pascal Rambert, ou encore Anton Tchekhov. Cette diversité des aventures théâtrales l’oblige à réapprendre constamment « ce mystérieux métier d’acteur ».

« Adama Diop assume pleinement son statut de Franco-Sénégalais. Cette dualité est une richesse, deux cultures qui se complètent pour sortir du rapport violent imposé par la colonisation, hier mais aujourd’hui encore sous d’autres formes. »

Avec Adama Diop, nous sommes au cœur des problématiques d’un théâtre français qui a mis beaucoup de temps avant de faire une place aux interprètes racisés. Peter Brook, qui fut précurseur en Angleterre d’abord, puis dans son Théâtre des Bouffes du Nord, s’étonnait de cette résistance. Adama Diop, lui, est persuadé que l’art, et en particulier l’art dramatique, est un levier pour se voir à travers les autres, il rêve d’une société mature débarrassée du sexisme, du racisme et de la xénophobie auxquels il a lui-même été confronté. Pour lui, un acteur se doit d’aller dans les profondeurs de l’être humain, dans ses contradictions, ses désirs, ses ambitions, ses échecs, ses faiblesses…

Dans cette période de vingt ans qui a été « un temps de travail, de reconnaissance nécessaire, de légitimité à gagner et de compréhension mutuelle à développer », Adama Diop assume pleinement son statut de Franco-Sénégalais. Cette dualité est une richesse, deux cultures qui se complètent pour sortir du rapport violent imposé par la colonisation, hier mais aujourd’hui encore sous d’autres formes. La vraie question est de savoir que faire de cette violence et du regard condescendant porté par « ceux qui se sentaient supérieurs alors qu’ils ne représentaient qu’une petite partie du monde ». Adama Diop voudrait ouvrir un nouvel espace de dialogue et faire des pratiques artistiques le moyen d’un véritable dépassement de ce passé douloureux.

Lorsqu’il présente Fajar (aube, en wolof), sa première mise en scène professionnelle, à la MC93 en février 2024, c’est de tout cela qu’il est question. Une performance l’associant sur scène à trois musiciens, une altiste, un multi-instrumentiste burkinabé et une violoncelliste, mêlant le cinéma (avec un film tourné au Sénégal pendant l’été 2023), le conte et la poésie. L’acteur-chanteur-musicien qu’il est veut s’exposer en toute sincérité pour chercher en lui la part de soi qu’on ne comprend pas toujours.

« Comme il ne peut s’imaginer dépourvu d’une conscience de ce qui l’entoure, une partie de sa vie doit être consacrée à cette immersion dans ce monde hors-théâtre, en particulier dans les zones rurales du Sénégal. »

Très attaché à sa terre natale et constatant un intérêt nouveau de la jeunesse pour le théâtre, le cinéma et le métier d’interprète, Adama Diop a mis en place un projet d’école de théâtre, l’EIAD (École Internationale d'Acteur·ices de Dakar), réunissant professionnels et amateurs, pour contribuer à imaginer un théâtre sénégalais, et plus largement subsaharien, contemporain. Du mot « acteur » il tient à l’idée d’« action » et donc de mouvement, c’est pourquoi les deux prochaines années, il voudrait également développer une école nomade à travers le Sénégal. Comme il ne peut s’imaginer dépourvu d’une conscience de ce qui l’entoure, une partie de sa vie doit être consacrée à cette immersion dans ce monde hors-théâtre, en particulier dans les zones rurales du Sénégal.

Savoir d’où l’on vient, « ne jamais l’oublier », et en même temps construire son futur… Un double mouvement qui nourrit Adama Diop, acteur exemplaire d’un théâtre français enfin en lien avec la diversité de la société dans laquelle il est plongé.