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La dernière émission
En juin 2023, dans la cadre de la Fabrique d’expériences, Catherine Boskowitz et son équipe ont convié des amateurs à explorer et tester durant une semaine le texte et la dramaturgie d’un spectacle en cours d’élaboration.
Catherine Boskowitz est une artiste familière des spectateurs et usagers de la MC93 où son spectacle Le pire n’est pas (toujours) certain a été présenté en décembre 2019 et où elle a organisé dans le cadre de sa résidence au sein de la Fabrique d’expériences, plusieurs ateliers et expositions à partir de 2017. L’autrice, metteuse en scène et plasticienne a cette fois-ci décidé de convoquer Toussaint Louverture, héros de l’indépendance haïtienne, et Maximilien Robespierre, dit l’incorruptible, acteur majeur de la Révolution française, à une émission de télévision. Qu’importe s’il y a plus de deux cents ans que le premier est mort d’une pneumonie au fond d’une prison française, et que l’autre a perdu la tête sur la place publique à Paris : le théâtre ne s’arrête pas à ces petites contrariétés.
À partir du printemps 2023, des amateurs sont invités à venir tester et explorer le texte et la dramaturgie de ce spectacle en cours d’élaboration, que Catherine Boskowitz a intitulé La dernière émission. En juin, une quinzaine de volontaires, femmes et hommes de tout âge, ont ainsi participé durant cinq jours à l’atelier animé par l’autrice, secondée par trois comédiens professionnels habitués de ses créations : Estelle Lesage, Frédéric Fachéna et Marcel Mankita. Le principe de cette exploration : répéter des scènes par petits groupes d’amateurs, dirigés par un professionnel, avant de tester des enchaînements collectifs, le tout filmé en intermittence puisque l’action est censée se dérouler dans un studio de télévision, en direct.
Je surprends d’abord Marianne et Larbi en train de répéter, sous l’œil de Frédéric Fachéna, le prologue durant lequel Robespierre, dans les loges, se demande ce qui l’attend. Le soliloque est partagé entre les deux amateurs. Frédéric Fachéna propose des inflexions de rythme, des déplacements, rappelle le contexte historique. Cela devient de plus en plus fluide : la scène s’enchaîne dans sa globalité avec Larbi en perruque. Des échos me parviennent qui me mènent entre terrasse et escalier à Gilberto et Emmanuelle qui se partagent le rôle du cheval de Toussaint Louverture, sous le regard avisé d’Estelle Lesage. Les comédiens amateurs portent, chacun leur tour, une tête de cheval en carton pour dire le monologue, tout en mimant les ruades et piaffements du cheval. Puis, tous travaillent texte et mouvements selon diverses options de jeu.
Catherine Boskowitz est avec Samia et Karine en salle de lecture, tout près de l’action des deux protagonistes, accompagnant leur course : Samia qui joue la maquilleuse de l’émission poursuit Karine qui campe un Robespierre très réticent à ce rituel ; la joute est vive. Catherine Boskowitz donne des indications de ton, souligne le sens de la scène. Le trio se disperse, Samia continue de répéter son texte dans un coin de la grande pièce alors qu’arrivent Sophie et Yann pour travailler à leur tour la même scène. Les comédiens amateurs sont tous très investis, les pièces du puzzle s’esquissent. Je découvre, au fur et à mesure, parfois à contretemps, la trame du texte en cours d’écriture. L’atelier est en train d’offrir opportunément à l’autrice et metteuse en scène l’expérience cruciale de l’épreuve du plateau.
Dans l’après-midi, Catherine Boskowitz commente le contexte d’une scène à Samia et Noé : une rude polémique sur la question de l’esclavage entre Toussaint Louverture et Robespierre sur fond de commerce du sucre, enjeu économique majeur au XVIIIe siècle. Cette aventure collective, provoque par petits groupes, maints débats impromptus, qui jalonnent le travail d’interprétation et revêt des allures de colloque politico-artistique foisonnant. Les participants sont clairement motivés par les deux aspects de l’expérience.
En fin de journée, tout le monde se retrouve dans le vaste espace de la salle de lecture pour un filage des séquences travaillées et la projection des scènes en coulisses ; les amateurs se sont munis de divers costumes et accessoires. Les comédiens professionnels vont tenir les rôles des journalistes de l’émission… C’est une vraie première.
Privilège de la fiction, aucune trace historique n’atteste de la rencontre des deux grandes figures du XVIIIe siècle. Introduisant l’exercice, tout à son corpus révolutionnaire, Catherine Boskowitz laisse échapper un lapsus en parlant de la… MC89 !
Jarnoul Doberd