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Magazine

19 décembre 2022
À lireEntretiens2022-2023

Une expérience de théâtre documentaire

Entretien avec Simon Roth autour d'Une jeunesse en été

Quelle est la genèse de ce spectacle ?

L’envie est née suite au visionnage de plusieurs films : Chronique d’un été d’Edgar Morin et Jean Rouch, Et la vie de Denis Gheerbrandt, Le Joli Mai de Chris Marker mais aussi Roman national de Grégoire Beil et Demain le feu, de Mehdi Meklat et Badroudine Saïd Abdallah : des films où les réalisateurs font des tours de France pour rencontrer des inconnus, et qui posent la question : Qui sont les Français ? Ces films ont résonné chez moi sans doute parce qu’ils présentaient des gens que j’étais de moins en moins susceptible de croiser en avançant dans mes études théâtrales. Par ailleurs, quand je suis arrivé à Paris, j’allais beaucoup au théâtre. J’étais nourri intellectuellement mais souvent en manque d’émotions. Plutôt que des grands enjeux abstraits, ces films offrent des exemples de matière vivante que j’ai eu envie d’essayer de capter. 

Comment avez-vous réalisé votre tour de France ?

M’est venue l’idée du stop. Je me suis rendu compte des possibilités que cela offrait d’être enfermé dans une voiture pendant trois heures, avec quelqu’un qui regarde la route, à qui je posais des questions et que je filmais. Les gens confiaient à l’inconnu que j’étais des choses qu’ils n’avaient jamais dites à des proches. Le stop permet de croiser des milieux sociaux très différents, même s’il ne s’agit pas ici d’une approche sociologique mais davantage poétique et solidaire : une pièce sur ces personnes que j’ai croisées par hasard et qui m’ont tendu la main. À partir de ces rushs, j’ai proposé à des camarades de 3e année au Conservatoire de tenter une expérience de théâtre documentaire : refaire un tour de France en stop pour qu’ils et elles ne soient pas juste interprètes mais s'engagent dans une rencontre avec l'autre pour pouvoir le ou la jouer le plus finement possible. Nous sommes allés aussi dans des lieux en marge comme Notre-Dame-des-Landes, un squat dans le Limousin et un lieu alternatif à Marseille. L’idée était de sortir de nos chemins balisés pour découvrir d’autres trajectoires. La plupart de mes camarades n’avaient jamais fait de stop ni fréquenté de milieux militants. 

« On se retrouve, avec nos questions et notre quête de sens, face à des personnes un peu perdues elles aussi et on partage ainsi une forme d'errance. »

Pour créer la pièce, vous avez fait de nombreuses rencontres partout en France. Qu'en avez-vous retenu ?

En proposant le dispositif de questionnaire, on reste un peu maîtres des sujets mais bien sûr des thèmes dans l'air du temps reviennent souvent. On a beaucoup entendu parler de la peur, qui est, des deux côtés, ce qu'il faut dépasser pour faire du stop, alors que finalement on a trouvé beaucoup de bienveillance et de solidarité. Mais dans cet exercice, le plus fort tient à la manière dont ces choses sont dites, au chemin vers la parole dans sa fragilité. On découvre aussi des histoires absolument inimaginables, ou politiquement et moralement incorrectes ! Parfois les gens ont juste besoin de parler, de leur divorce ou de leurs doutes existentiels et on leur rend service en les écoutant. On se retrouve, avec nos questions et notre quête de sens, face à des personnes un peu perdues elles aussi et on partage ainsi une forme d'errance.

Le titre du spectacle est une référence directe au film de Jean Rouch. Comment vous en êtes-vous inspiré ?

J’ai beaucoup aimé la spontanéité de ce cinéma-vérité qui veut se reconnecter aux gens et au concret. Au début du film, Rouch et son équipe vont place de la République à Paris et demandent aux passants : êtes-vous heureux ? On a commencé comme eux, en mai 2021, place de la République. Ensuite on a avancé par cercles concentriques, en partant de nos proches puis en élargissant le spectre grâce au stop. Ont suivi d’autres questions, assez simples, comme : quelle est votre première pensée le matin en vous levant ? Aimez-vous votre travail ? Quels sont vos moyens de subsistance ? Comment dormez-vous ? Croyez-vous à l’amitié homme-femme ? 

Rouch et son équipe se filment aussi eux-mêmes en train de faire des retours sur expérience. C’est une démarche honnête car le micro-trottoir n’a aucune vertu sociologique. On les voit se questionner pour ajuster leur projet. On a gardé cette interrogation critique dans le spectacle. La confiance acquise entre nous après trois ans passés ensemble au Conservatoire nous permettait de construire le projet à dix. Nous avons créé un collectif dans l’hétérogénéité, de provenance, de pensée, d’esthétique, dans le désaccord parfois. On s’est en revanche écarté du film sur des questions d’éthique. Il y a une forme de manipulation des personnes interviewées qui nous choque, comme le fait de les faire boire pendant l'entretien pour leur faire dire certaines choses. Il nous a paru impératif que les gens donnent et que ce ne soit pas à leur insu qu’on prenne. C’est pour ça qu’on retrouve dans le spectacle l’activiste John Jordan qui a développé la notion d’extractivisme dans l’art, qu’il compare à la façon dont les grosses sociétés pétrolières puisent les matières premières dans le sol sans faire attention aux gens et aux conséquences. 



En quoi a consisté votre travail d’écriture ?


J’avais beaucoup écrit avant les répétitions, autour de la rencontre, du besoin de sortir des stéréotypes mais il n’en reste presque rien dans le spectacle. Finalement, les entretiens et les moments de débat au sein de l’équipe répondent à ces questions. Ce sont vraiment les gens qui parlent. J’ai du mal à changer ce qu’ils disent même quand ils trébuchent ou hésitent car tout est signifiant. On a souvent recopié les réponses à l’inflexion de voix près, pour ne pas trahir la parole recueillie. Mon travail d’écriture a consisté à agencer et à couper ces propos. Les scènes de réflexion collective sont davantage écrites. Elles condensent des discussions qu’on a eues pendant des heures parfois, éclatées sur différentes périodes. 

« Je crois qu'en fait on parle aussi beaucoup de nous-mêmes à travers ces personnages. Et cela produit cette émotion vibrante que je cherche depuis le début. »

Comment avez-vous choisi d'interpréter ces personnes au plateau ?

Les comédiens ont choisi une personne parmi tous ces témoins et les moments qu'ils préféraient. Souvent, il y avait des liens d'ordre intime entre tel individu interviewé et tel acteur ou telle actrice. Ensuite, on a travaillé sur le playback, le doublage et l'improvisation. Cela crée un mille-feuilles d'interprétation. Ainsi les acteurs rentrent dans le personnage devant les spectateurs. Ils commencent par la voix, puis le corps et peu à peu on assiste à la mutation d'une personne en une autre. Ce qui s'est révélé en cours de route très touchant, c'était de voir simultanément sur scène à la fois l'acteur ou l'actrice et la personne interviewée. Je crois qu'en fait on parle aussi beaucoup de nous-mêmes à travers ces personnages. Et cela produit cette émotion vibrante que je cherche depuis le début.

Qu’est-ce qui a guidé vos choix scéniques ?

Je vais bientôt assister Milo Rau qui, dans le manifeste lancé à l’occasion de sa nomination à la direction du NTGent, prône une scénographie qui rentre dans un 20 m3. Je suis sur cette ligne-là. Cela me pose question de voir des spectacles parfois assez engagés dans leur propos mais insensés d’un point de vue écologique. Nous avons donc fait de la « récup » : des palettes, des pneus, des micros et des enceintes. On a choisi la simplicité.

Propos recueillis par Olivia Burton en avril 2022.